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Europe et USA : Coopération, multilatéralisme, stratégie ou volonté politique ?

Dans un article de Space News datant du 29 mars 2004, Alain Dupas, french space analyst ;-), intitulé a new US Space Strategy : Dual Space Dominance ?, entreprend de comprendre la politique spatiale américaine post-14 janvier 2004. En portant un regard critique sur la politique spatiale militaire et celle de la NASA, l’auteur commence par avancer le fait que la NASA semble de moins en moins concernée par les activités spatiales proches de la Terre – Near Earth Space Activities - (satellites, observation terrestres, recherche hypersonique…), le comble serait atteint en 2010 avec l’arrêt du Shuttle et puis en 2016 avec la fin de l’assemblage de l’ISS. Le Pentagone et les agences de renseignements développant pendant ce temps une stratégie spatiale de plus en plus ambitieuse. Il annonce, ensuite, que les européens semblent peu concernés par le vol habité et encore sceptiques face à lui. Les nouveaux buts de la NASA seraient alors faits pour impressionner les nations spatiales de second rang (sic) comme les chinois. Même si le processus y menant est irrationnel et peut-être incohérent (Ndlr : ce qui semble être faux quant on lit les articles de Frank Sietzen sur Spaceref.com), il constate tout de même, qu’il n’y a pas d’autre solutions pour investir sur le futur pour ce qui concerne les vols habités, et l’exploration que le plan de G. W. Bush. Les maîtres incontestés en la matière semblent être les américains, l’auteur en convient volontier. La politique américaine en matière d’espace serait donc une opportunité pour tous les pays afin qu’ils reconsidèrent la vraie valeur des activités spatiales pour la connaissance et l’exploration. Ce qui est par ailleurs très juste. Il est évident que l’Europe doit reconsidérer sa position vis à vis de sa politique spatiale habitée, en comprendre les bénéfices, les intérêts et les enjeux, puis en tirer des conséquences : c'est-à-dire s’engager fièrement sur cette voie. Alain Dupas finit son texte par les conclusions suivantes. Les américains devraient faire attention à ne pas avoir une politique spatiale arrogante et unilatéraliste ; leurs programmes devraient s'engager plus dans la coopération et ouvrir progressivement leur politique de sécurité spatiale et d’exploration à ce qu’il appelle un multilatéralisme spatial ; enfin si les autres pays spatiaux répondaient avec leur propre stratégie, cela rendrait la donne beaucoup plus dur pour les USA ; en deux mots : Coopérer ou vous ne ferez rien !

AlainDupas trouve une première réponse dans le texte qui suit le sien dans le même journal : Does the USA have a Space Strategy ? Par John M. Logsdon. Ce dernier ne cache pas qu’il existe effectivement une politique spatiale américaine et que c’est plutôt une bonne nouvelle selon lui. Selon lui, quelle serait le but d’une politique spatiale sinon acquérir des avantages stratégiques évidents … ? Là où les auteurs diffèrent, c’est sur le fait de dire qu’il y a aurait une Grande Stratégie spatiale américaine qui aurait des volontés cachées unilatéralistes … Logsdon met alors le doigt sur les problèmes que connaissent l’Air Force et les différentes agences concernées pour mener à bien des projets spatiaux, en citant l’avion spatial, et le transport spatial en général.

Enfin, la dernière réponse à Alain Dupas est faites par Taylor Dinerman, écrivant sur le site d’opinion The Space Review un article intitulé American Strategy for space : Comments on a french perspective. Dinerman commence par remettre le contexte de la décision du 14 janvier comme un acte mûrement réfléchi et surtout très important dans l’histoire de l’astronautique américaine. Quant à l’arrogant unilatéralisme mis en garde par Alain Dupas, Dinerman répond que si les européens veulent faire rentrer les chinois dans le programme Galileo sans l’accord américain, alors pourquoi ces derniers se soucieraient-ils de l’Europe dans un débat qui ne les concernent pas comme l’armement dans l’espace ou la commercialisation des corps célestes ? Les américains, selon lui, doivent esquiver la coopération comme elle a été faite ces derniers temps, et éviter ainsi que des gouvernements étrangers s’immiscent dans les systèmes critiques du CEV par exemple. Ces partenaires internationaux devraient plutôt être vu comme des sous-systémiers émérites (il cite alors l’exemple du Canada avec le bras de la navette spatiale US). Connaissant, visiblement, bien la politique intérieur française, il relève que la France ne semble pas tant être contre le vol habité puisque Jacques Chirac avait nommé notre première spationaute au poste en résultant. Sur ce point, nous lui avons répondu dans un email que ce ministre s’était pourtant très peu positionné en faveur du vol habité autonome européen, et certainement pas de façon avant-gardiste. Il est tout de même d’accord pour dire que de toute façon, l’opposition aux vols habités semblent être universelle et non une prérogative européenne - cf le débat actuel autour du CEV au Congrès américain - Sa conclusion est la suivante : le but stratégique américain de coloniser le système solaire avec des citoyens US est bien plus ambitieux que ce qu’a pu détecter Alain Dupas, c’est désormais inhérent aux implications à long terme de la vision spatiale de G. W. Bush.

Il est évident que les américains ont une stratégie spatiale concernant les activités civiles et militaires. Nous avons répondu, par email, à The Space Review qu’il ne tient qu’à nous de bâtir une vraie stratégie européenne cohérente et rationnelle fondée sur l’autonomie et la complémentarité. Il est en effet assez navrant de réclamer une politique spatiale américaine fondée sur le multilatéralisme c'est-à-dire une coopération à tout crin. La coopération invoquée pour des raisons financières et effectuée dans ces conditions ne peut rien donner de bon. Que cela plaise ou non, l’exemple de l’ISS est assez frappant. Le mot coopération est désormais évoqué à chaque fois qu’il est question d’économie. La NSS France n’est pourtant pas contre le concours d’autres nations aux programmes spatiaux. Il est même évident qu’une Spacefaring Civilization se bâtira avec la participation de tous les pays de bonne volonté. J’ai parfois l’impression que le mot coopération cache juste un manque de volonté politique apparente. Il s’agit de travailler sur ce sujet et particulièrement en Europe. La coopération doit être faite avec les grandes nations spatiales, mais ne doit en aucun cas amputer nos volontés et ambitions spatiales. Cela vous rappellera peut-être les débats qui suivirent le premier vol du Spacelab en 1983 et notamment une tribune d’Albert Ducrocq dans Air Et Cosmos N°985 du 21 janvier 1984 qui parlant de la coopération ESA-NASA rapportait la parole d’un représentant du CNES en 1973, lors de la décision de faire Spacelab, et qui disait que ‘’ Nous avons obtenu quelque chose d’eux, nous avons espoir d’aller plus loin…’’. Spacelab vola une fois avec Ulf Merbold en 1983, pour les européens... Il concluait son papier par cette phrase : ‘’car les Etats-Unis vont avoir besoin de l’Europe spatiale pour préparer leur future station spatiale (…) aujourd’hui encore c’est la technologie européenne qui pèses lourd dans la balance. Et l’Europe est fondée à parler avec l’Amérique d’égale à égale. A condition que cela se sache’’. La situation est aujourd’hui assez proche : il est temps pour l’Europe de s’affranchir d’hypothétiques coopérations avec les américains et d’acquérir une vraie force spatiale propre à notre continent et à notre industrie. Notre communauté s’ouvre aujourd’hui même à dix nouveaux Etats-membres, il est donc fondamental pour notre cohésion et notre stabilité de se regrouper autour de projets porteurs et vraiment innovant comme l’espace habité. Nous avons fait de nombreux pas depuis trois ans mais il est temps de franchir un cap ; et de dévoiler nos batteries : devenir une puissance spatiale fière et ambitieuse. N’ayons pas peur, d’un point de vue spatial, d’être arrogant, de toute façon il nous sera toujours reproché de l’être ! L’unilatéralisme spatial est bien entendu une impasse stratégique, il s’agit avant tout de travailler en coordination avec nos partenaires internationaux mais de rester autonome et surtout ambitieux pour notre propre politique ! La future coopération sur le programme spatiale d’exploration américain ne doit pas cacher nos besoins dans le domaine, voir notre volonté d'aller dans le même sens (Aurora est un excellent exemple). Il s’agit de bien se faire comprendre : Coopérer comme il est envisagé de le faire actuellement revient à ne rien faire par souci d’économie (le meilleur exemple reste Soyouz à Kourou sur ce point). Coopérer de façon complémentaire et intelligente pour bâtir un grand programme spatial européen est la solution. Notre Initiative Spatiale Européenne est très claire sur ce fait. Faisons notre propre lanceur habité, bâtissons nos rêves derrière l’orbite basse de façon concrète : nous en avons les moyens, il ne nous manque qu’un peu de volonté… Nous nous engagerons dans une politique spatiale habitée car nous aurons compris que cela nous rapportera d’un point de vue stratégique, économique et technologique. Il n’est plus temps de se lamenter et de réfléchir comment pourrait-on économiser quelques euros, mais plutôt de pousser à ce que l’Europe s’engage enfin dans une Grande Stratégie Spatiale.

Nicolas Turcat
Président de la National Space Society France


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