NSS FRANCE
La Lettre
 

La lettre N°12 - Mars - Avril 2005
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Sommaire
 
 
 
 
 
Face aux sollicitations répétées récemment, nous avons décidé d’éclaircir notre position concernant la politique spatiale européenne en générale. Vous connaissez bien notre position sur les vols habités, déjà exprimée dans les 15 propositions sur 5 ans mais qu’en est-il du reste ? En réalité, nous avons déjà abordé quasiment tous les sujets lors des différents articles précédents, mais il faut savoir synthétiser. Sous forme de questions-réponses, nous tenterons de mieux vous faire comprendre notre point de vue.
 
     
 
 
 
Ce succès doit nous porter à réfléchir. La découverte scientifique d’un nouveau monde, les pluies de méthane, le sol « en crème brûlée », les moins 180 degrés, le cryovolcanisme, des milliers de données et toujours plus de questions soulevées pour les chercheurs qui vont devoir travailler des années afin de trouver un modèle compatible. Tout cela est parfait, la découverte de ces connaissances est naturelle à l’humanité.
 
     
   
 
Depuis de nombreuses années, Monsieur Serge Brunier s’est fait une spécialité de nous donner son commentaire sur les vols habités. Il « baigne dans le milieu aérospatial depuis plus de 20 ans… » Ces livres traitant du ciel et de l’espace sont traduits en une dizaine de langues et se sont vendus à près de 300.000 exemplaires, il connaît de nombreux astronautes !!! Enfin quelqu’un de compétent !!! Hélas son dernier article dans la revue Science & Vie de Mars 2005 intitulé : « Retour sur la lune : est-ce bien sérieux ? » est un modèle de démagogie, d’empirisme et de manipulation.
 
     
   
 
La recherche fondamentale engendre toujours les principes qui serviront au développement de nouvelles technologies et ne vise pas seulement à satisfaire les projets justifiés des scientifiques. D’autre part la conquête de Mars, en constituant un véritable défi pour notre science et notre technologie, sera un des principaux catalyseurs des activités humaines pour les siècles futurs. Dans différents articles que nous avons publiés au cours des années passées, nous nous sommes efforcés de démontrer pourquoi et par quel type de stratégie, un accroissement des activités de l’homme hors de sa biosphère (Lune, Mars et astéroïdes) était la seule opportunité pour sortir de certaines impasses économiques et technologiques.
 
     
 

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L’ESA ?
Nous soutenons la politique générale de l’ESA tout en restant critiques et vigilants face à ces évolutions. Il est évident que nous possédons là un instrument efficace et moderne pour engager une politique spatiale européenne ambitieuse. En tant qu’association militante et citoyenne, il est hors de question de rester impassible face à sa politique. Il faut pour cela rester critique et constructif. Nous avons déjà expliqué pourquoi nous soutenions l’agence, et les raisons qui nous poussent à continuer à le faire. Loin d’être un instrument parfait, l’ESA doit rester sujette à la critique en tant qu’institution. Nous pouvons lui reprocher, parfois, son manque de volontarisme, d’ouverture sur l’extérieur ou d’esprit critique, même si nous savons que ses dirigeants se démènent corps et âme pour la faire durer dans un contexte difficile. L’ESA mériterait d’être réformée, ou plutôt reboostée, afin d’acquérir une véritable efficacité politique et industrielle. L’agence devrait apprendre à communiquer sur ses activités et surtout faire preuve d’humilité face à ses concurrents. Savoir se remettre en cause, profondément, pourrait être une évolution possible. Les relations politiques qu’entretiennent l’ESA devraient être refondées sur un mode plus actif et l’agence devrait dans un second temps prendre conscience de son particularisme innovant dans le domaine politique et stratégique. L’institution européenne pourrait prendre plus d’initiatives de manière générale. Structurellement, l’agence mérite de nombreuses, mais légères, améliorations même si nous pensons que cela soit avant tout un problème de relations humaines. Il y a, au sein de cette structure, un manque évident de leadership et de charisme de la part d’une hiérarchie quelque peu désabusée. En deux mots, l’ESA mérite sa place dans l’Europe du XXIeme siècle et notre soutien complet concernant ses programmes ; cependant l’agence reste perfectible et doit savoir innover. Nous applaudissons ses réussites et espérons qu’elle fasse encore mieux. Des meilleurs nous exigeons le meilleur !

La Commission Européenne. (Les institutions politiques européennes) ?
Si l’évolution politique et historique nous pousse à soutenir l’institution en tant que telle, nous restons critiques et attentifs aux actions d’un commissaire quelque peu dépassé par le sujet qui nous préoccupe. L’orientation ultra-libérale et sectorielle de la commission et les déclarations récentes, un peu ‘’molles’’, de M. Verheugen nous poussent au scepticisme. La politique sectorielle européenne a su apporter de nombreuses innovations dans le cadre naissant de l’Union économique. Cependant, à l’heure de l’Union politique, il va falloir que l’Europe se décide à définir enfin une véritable vision politique pour le continent et ses 25 membres. Les débats médiatiques concernant l’Europe reflètent ce souci d’amélioration constante en direction d’un continent qui attend désormais plus de l’UE. En 1957, l’Europe proposait un projet économique avant-gardiste accompagné de politiques sectorielles unificatrices, en 2005, l’Europe doit proposer une vision politique complète à notre société, tout comme les Etats-Nations l’ont déjà fait au préalable. L’espace, de manière globale, ne doit pas être saisi uniquement en tant qu’argument utilitaire pour la société européenne, au risque d’une importante déception. Alors que nous entendons parler de rapprochement entre les politiques européennes et la population, voici un projet neuf et ambitieux qui permettra à tous de se sentir fier d’être de citoyenneté européenne ! La politique spatiale que nous soutenons doit s’encastrer elle-même dans un projet politique plus large. Les institutions européennes devraient sérieusement réfléchir à bâtir un corpus d’idée mobilisateur et efficacement appliqué dans lequel l’espace pourrait jouer un rôle politique, stratégique, économique, industriel et culturel. En raison de sa diversité, construire une politique spatiale ambitieuse reviendrait à doter l’Europe du levier le plus efficace pour se bâtir un avenir économique et stratégique radieux. Notre confiance dans l’avenir nous permet de soutenir infailliblement ces institutions. Le défi de l’Europe à 25 sera difficile à passer et des évolutions structurelles seront peut-être nécessaires mais l’aventure politique promise en vaut la peine. La difficulté majeure pour la commission européenne ou le parlement à Strasbourg sera de construire un projet politique commun. C’est ici un problème fondamentale et sur lequel nous devons exercer une pression énorme : faire de l’espace (et particulièrement de l’espace habité), une réalité politique européenne. Il ne faudra pas tomber dans la tentation de ne faire que gérer les affaires européennes mais bien de les prendre à bras le corps. La volonté politique, l’ambition débordante, et un enthousiasme humaniste devront définir l’homme politique européen de notre siècle. Indubitablement, le but étant de faire accepter une politique spatiale européenne comme un instrument politique premier dans le cadre d’une vision sociétale. Nous croyons en l’Europe politique ; cette dernière est importante pour la survie du secteur spatial, c’est, encore ici, un aspect primordial de notre combat.

La Constitution Européenne ?
Dans la droite ligne de notre précédente réponse, l’Europe politique assurera la pérennité du secteur spatial dans sa globalité. Le projet constitutionnel européen, aussi défaillant soit-il, permettra de faire avancer les choses dans une voie plus politique : or une politique spatiale ambitieuse ne se justifie que politiquement ! Le traité peut être amélioré et nous comptons sur l’esprit politique de nos concitoyens pour rester vigilants et faire évoluer dans un meilleur sens ce projet politique. Aucun traité n’est définitif, et placé historiquement, ce dernier représente une évolution nécessaire à l’aboutissement de l’Europe politique, même si nous pourrions pencher, à terme, vers un renforcement, encore plus fort, des structures institutionnelles européennes. D’autres étapes seront tout autant difficiles à accepter. L’accomplissement d’institutions politiques fortes et efficaces sera l’étape suivante. En plus de définir l’espace comme une compétence partagée et comme un instrument ; l’utilité du secteur spatial obtient là une justification politique complète. C’est un premier pas. La définition constitutionnelle de la politique spatiale mériterait d’être précisée mais ce n’est ici que le début d’un long processus. De plus la réaffirmation d’un système économique libérale et capitaliste n’a rien d’étonnant dans ce traité. Si c’est la première fois que le régime économique est défini dans une constitution, ce n’est que l’aboutissement de plus de 150 ans de capitalisme libéral. Cette précision ne fait qu’entériner institutionnellement une pratique acquise et qui nous a permis de pacifier durablement notre continent. Notons que cette précision ne fait mention d’aucune modalité ou règlement. Le caractère social, qui peut sembler absent du projet, se constituera par la force des hommes politiques au cours des prochaines années. Une politique sociale se définira à travers un contexte économique et politique. Sachons nous construire un instrument efficace puis nous verrons les modalités applicatives par la suite. La Constitution Européenne est soumise à des nombreux débats, y compris au sein de l’association, cette discussion est fondamentale pour la pérennité de l’intégrité politique européenne.

Le CNES ?
Nous savons que nous tenons un langage parfois un peu dur envers l’institution française, car certains d’entre nous ont pu grandir en espérant d’elle tant de réalisations. Outre le fait que le CNES ait abandonné nombre de compétences au profit de l’agence spatiale européenne, le CNES pourrait toujours avoir un rôle leader en Europe. Si l’espace habité est pratiquement inexistant en France, les projets avancés sont presque tous placés, au bout d’un certain temps, sur le champ européen. Il est évident que la France n’a aucun intérêt à progresser seule dans le domaine spatial. Le CNES, historiquement, représente une très grande institution républicaine et fut garante de l’esprit d’innovation entre les années 60s et 80s. En partie, conçue pour répondre aux besoins politiques du Général de Gaulle, l’agence spatiale est désormais réduite à sa portion congrue. Micro agence, micro budget, mini ambition et constant souci de donner des leçons aux autres partenaires ! Le CNES est désormais dans une bien étrange position. Si quelques membres de son personnel restent enthousiastes, et forcent le respect par leur courage, le gros de la troupe est extrêmement désabusé, sans illusion et souvent atone face à l’adversité. Ici encore, les hommes politiques pourraient faire du CNES un instrument majeur dans la construction d’une Europe innovante et technologique, il n’en est rien. Le CNES devrait servir de relais national à la politique spatiale européenne, ce qu’elle fait en partie mais de façon grossière et parfois un peu indifférente. Remettre les équipes au travail, fournir des fonds structurels et programmatiques conséquents et surtout définir une direction devraient être des motivations pour les prochains dirigeants. Nous pourrions reprocher aux responsables du CNES d’avoir été des marionnettes désarticulées au profit de quelques vautours économes envieux du prestige passé de l’institution. La direction de l’agence spatiale bénéficie d’un carnet d’adresses institutionnel conséquent tant sur le champ politique qu’industriel, et devrait s’en servir pour organiser une résistante plus active. Alors que nos scientifiques du XVIIIème siècles ou ceux des trente glorieuses étaient souvent des ‘‘touche à tout’’, que ce soient en politique, dans les Arts ou les Sciences, nos actuels responsables aux CNES sont d’ordinaires gérants d’un radeau en détresse. Il est pourtant toujours temps d’agir et de trouver sa place sur l’échiquier spatial européen. Relevez la tête !

La coopération ?
Nous ne reviendrons que sommairement sur le sujet, puisque nous l’avons maintes fois traité. Il nous suffit de réaffirmer que la coopération en matière de domaine stratégique ne se fait pas du fort au faible mais bien d’un point de vue à peu près égal et bénéfique. Chaque partie doit apporter quelque chose à l’autre. La collaboration européenne est une nécessité politique et structurelle et doit être opérée autant que possible. Que ce soit avec les russes, chinois, américains ou toutes autres puissances spatiales elle se doit d’être faite de manière innovante et équilibrée. La coopération internationale ne doit en aucun cas être le dernier recours face à une difficulté. Ce n’est pas une solution de facilité, bien au contraire, d’où les prérogatives entourant sa mise en place. Nous pensons que la coopération internationale doit être accomplie dans des domaines précis et novateurs pour les deux parties. Elle doit nous rapporter quelque chose et non nous enlever une épine du pied. Nous pensons aussi que l’Europe peut apporter de nombreuses connaissances à nombres de puissances spatiales y compris les russes. Soyouz à Kourou va à l’encontre des intérêts industriels et politiques européens, c’est la raison pour laquelle nous nous opposons à ce projet. Néanmoins, si ce dernier programme était considéré comme une étape transitoire et extrêmement conjoncturelle, il se peut que nous le soutenions comme solution de dépannage au service d’une politique encore plus ambitieuse. Il faudrait au préalable définir et s’engager politiquement sur une vision spatiale européenne à moyen terme. Si nous donnons 5 ou 10 ans de répit à l’industrie spatiale européenne, grâce à Soyouz à Kourou, il faudrait que nos industrielles continentaux nous comblent avec un très beau résultat, et non un simple lanceur doté d’une capsule habitée ! En deux mots : une solution au transport spatial très avancé qui ferait faire un bond en avant gigantesque à l’industrie spatiale européenne. La coopération internationale ne peut être envisagée dans le contexte actuel que sur le champ spécifique de l’innovation et du progrès scientifique mutuel. Klipper ou le CEV pourrait constituer un véritable défi pour l’Europe. La sous-traitance russe ou chinoise ne peut en aucun cas être considérée comme une politique spatiale européenne. L’intérêt commun, l’innovation, le progrès technologique, l’acquisition de connaissances ou la politique ‘’de niche’’ peuvent constituer une politique de coopération nouvelle pour l’Europe mais uniquement dans ces cadres bénéfiques à notre entité.

Un programme d’application (Galileo, Satcoms, EGNOS, GMES) ?
De nombreuses fois, nous avons paru opposés vols habités et programmes d’application : il n’en est rien. Il est tout à fait clair que ces deux aspects sont complémentaires. L’utilité de l’espace a été démontré au cours des années 80s d’un point de vue applicatif en Europe ; c’est ainsi que nous soutenons une politique de programme d’application ambitieuse pour l’Europe. Pourtant, il ne faut pas en faire une priorité ou une unicité écrasant les autres aspects de la conquête spatiale. L’Europe se dote, de nos jours, d’un programme GPS dénommé Galileo : nous soutenons ce programme fermement et même un peu à la manière de certaines personnes à l’ESA, y compris pour les militaires. Nous soutenons aussi un programme satellitaire de reconnaissance militaire pour l’Europe lorsque celle-ci se sera dotée d’institutions efficaces en la matière. Bien plus, nous soutenons l’effort stratégique du militaire spatial. Lors des dernières réunions de l’OTAN, il est apparu de plus en plus claire que l’Europe, si elle est à niveau concernant les armements conventionnels selon les normes de l’organisation, le fossé technologique des télécommunications spatiales et des interconnections entre les forces alliées en présence posent des problèmes cruciaux pour l’avenir de nos forces militaires. Un programme satellitaire accompagné d’un vaste effort de R&D innovante est nécessaire pour rester une puissance stratégique mondiale. Le ‘’Space gap’’ doit être comblé et même très vite ! Les armées de notre siècle ne peuvent plus se permettre de consommer la moitié de leur budget dans la réparation d’AMX 30, ou dans une ALAT à 60% indisponible ! Un choix doit être fait, y compris face au défi rencontré par la force de dissuasion nucléaire. Plus qu’un simple M51, il va falloir réfléchir sérieusement à la condition technologique de nos armées européennes au cours des prochaines décennies. Les applications sectorielles européennes ne doivent être oubliées. Bien sur, nous soutenons l’idée que l’espace doit être mis au service du citoyen européen, mais nous ajouterons que ce secteur peut aussi apporter tant d’autres bénéfices. Le bruit fait autour du programme Galileo ou EGNOS ne devrait pas exister : il est normal de s’engager sur cette voie sans pour autant l’encenser de façon exagérée. Les programmes d’applications météo, satcoms, reconnaissance ou GPS doivent être bouclés ou finalisés pour pouvoir passer à autre chose. Nous soutenons un programme d’application complet et utile pour l’Europe, mais cela ne représente qu’une facette conjoncturelle et partielle d’une politique spatiale européenne. Mettre les applications en avant comme nous le faisons aujourd’hui risquent de nous décevoir grandement. Un programme applicatif, convenablement avancé, n’est pas autosuffisant sur le long terme. Ni le GPS européen, ni EGNOS, ou GMES n’a permis de véritable rupture technologique dans le cadre de l’innovation spatiale dans le monde. En Europe, nous ne savions pas faire ce genre de programme mais sachons relativiser l’impact d’un point de vue géostratégique mondial. A nouveau, une Europe politique devrait prendre en main ces programme applicatifs et les remettre à leurs places : c'est-à-dire, à notre disposition ! Saisissons l’opportunité industrielle de pousser plus loin l’innovation dans le secteur spatiale en sachant assurer nos arrières économiques, financiers (pour les industriels qui en tireront des bénéfices) et stratégiques avec ce genre de programme, au final, assez facile à mettre en œuvre. Ne nous inquiétons guère, comme à chaque fois, Il suffit qu’un état lance les initiatives pour que les autres suivent et veuillent apporter leurs compétences pour y gagner au change. De plus ne limitons pas ces programmes à certains secteurs alors qu’ils peuvent être très bénéfiques pour une Europe politique forte et stratégique sur l’échiquier mondial. Il y a tout de même un paradoxe à vouloir faire voter une constitution qui institue un ministre des affaires étrangères européen et accepter que le programme Galileo soit démilitarisé ! Ainsi la démilitarisation de Galileo est scandaleuse dans la perspective d’une Europe forte et politique, d’autant que nous instituons dans le même temps une agence européenne pour la défense qui se trouvera démunie juridiquement d’un outil fondamental ! Et même si, ce problème est contrecarré par des dispositions diverses, cet exemple montre que les discussions sur les programmes d’applications sont loin d‘être terminées. Un programme d’application innovant est donc obligatoire et soutenu par notre association, mais ne doit pas constituer le cœur du défi spatial européen !

Travaux sur les lanceurs ( et FLPP) ?
A nouveau, nous pouvons nous référer à nos 15 propositions sur 5 ans. Nous soutenons la mise en chantier d’un lanceur habité fabriqué par l’industrie européenne. Les conditions politiques, économiques et conjoncturelles pourraient nous pousser à envisager partiellement et dans certains domaines une coopération avec d’autres puissances étrangères sur des aspects de ce lanceur avancé. Avant tout, il faudrait réfléchir à l’évolution d’Ariane V et sa capacité, ou non, à envoyer des hommes dans l’espace. Ariane V ne doit pas absolument devenir rentable ! Nous savons que cette phrase peut choquer mais l’aspect politique et stratégique de ce lanceur doit être conservé. Qu’Arianespace engrange des bénéfices, nous sommes parfaitement d’accord mais de là à brader politiquement l’avenir de ce lanceur, fleuron de notre supériorité technologique et industrielle, nous nous opposons fermement à cette idée. Les propositions Sea Launch, américaines, russes, chinoises, ou indiennes et bien d’entreprises privées seront toujours plus concurrentielles. C’est la raison qui nous pousse à nous orienter vers la création d’un nouveau marché : l’espace de manière plus globale. Les institutions européennes ne peuvent pas se permettre de rendre un lanceur rentable à tout prix : il n’y aurait aucun gain politique, ni même économique ! Nous soutenons l’idée qu’il faut adapter notre gamme de lanceurs au marché européen et penser avant tout à nos propres intérêts. Cela peut paraître cru mais les réalités du marché nous font penser qu’un marché aussi limité que les satcoms ou les applications minimalistes effectuées aujourd’hui ne sont pas adaptés pour celui-ci. Nous avons eu suffisamment d’expériences en Europe sur les structures à bâtir ou pas pour nous constituer une flotte de lanceurs efficaces pour nos propres enjeux. Evidemment, nous envisageons d’être capable de s’ouvrir aux autres puissances spatiales sur des secteurs particulièrement innovants. La Russie avec les vols habités ou les Etats-Unis dans le domaine de l’exploration avancée lunaire ou martienne pourraient nous apporter de nombreuses connaissances. Nous n’avons pas de préférences techniques concernant le FLPP ou la future fusée européenne transportant des spationautes : mais soutenons les intérêts économiques et industriels vitaux pour notre continent. Pourtant, sachons relever le défi des lanceurs adaptés à nos besoins dans une perspective considérablement politique.

Le programme spatial scientifique de l’Europe?
Nous applaudissons quotidiennement les réussites scientifiques de l’ESA ou des agences spatiales nationales européennes. Nous soutenons aussi la Cosmic Vision de l’agence européenne pour les programmes scientifiques spatiaux. Nous pensons que nous pouvons là faire encore mieux. L’intérêt des pays développés, pour ne pas dire tertiaires, comme les nôtres est de savoir saisir l’opportunité de faire encore progresser les avancées scientifiques et technologiques. Pour cela, l’innovation et la recherche scientifique peuvent être deux voies à explorer pour pouvoir anticiper l’avenir de notre continent. Tout homme politique, en plus de savoir proposer un projet décent à sa société, doit pouvoir trouver un nouveau champ d’expression économique et stratégique où son entité (comme l’Europe) saura se développer. Il faut alors trouver de nouvelles sphères d’activités et un levier pour agir efficacement sur le destin politique de sa société. L’exploration spatiale scientifique nous permet de rendre intelligible l’univers nous entourant mais permet aussi de créer un esprit de découvertes perpétuelles en Europe pour les générations à venir. Plus que les chiffres et les courbes souvent abstraites, ou les belles images de Mars ou Titan, l’exploration scientifique nous permet de nous dépasser d’un point de vue technique et scientifique. La réussite de la mission en partie due aux RTGs de la sonde Cassini-Huygens nous a permis de comprendre l’intérêt à l’exploration du domaine des générateurs spatiaux nucléaires. Exploration scientifique, technologie, innovation, intérêts industriels et stratégiques : le tout étant intimement lié ! Ici, encore, nous soutenons l’ESA dans cette direction mais disons à nouveau : ‘’Oui ! Mais plus !’’

Les vols habités ?
Vous connaissez par cœur notre position à ce sujet. Soyons pour cela assez bref : Nous pensons que les vols habités, par leurs difficultés, ou leurs bénéfices à l’Humanité, doivent être considérés comme le cœur de la politique spatiale européenne. Les enjeux requis par ces missions, la difficulté technologique et industrielle à les mettre en œuvre, ou les retombées politiques, sociales et culturelles, sont telles que nous pensons que les vols habités sont le levier fondamental de l’Europe du XXIeme. Intégrée dans un processus industriel et économique hautement élaboré, une politique spatiale habitée permettra de créer de nouveaux potentiels d’activités pour l’Europe de demain.

Les crédits ?
Cruciale question. En effet, vous pourriez nous répondre que les crédits ne sont pas extensibles et pourtant des solutions existent ! Nous ne sommes pas suffisamment accrédités pour entrer en détail dans les processus de financement concernant l’innovation spatiale, mais nous pensons que c’est avant tout une affaire de choix politique. A nouveau, des priorités sont mises sur tels ou tels programmes, peut-être faudrait-il redéfinir l’ordre des priorités et surtout développer un carnet de route avec les hommes politiques assurant un soutien inconditionnel de la part de la société civile européenne. Outre l’augmentation évidente du budget de l’ESA, tout en restant raisonnable, il faudra que les pays européens dits ‘’à enjeux spatiaux’’ s’engagent concrètement dans la voie d’un soutien financier massif vers une politique spatiale européenne. Les industriels ne seront plus très durs à convaincre quand leurs sera présenté un plan où ils seront les principaux bénéficiaires. Parallèlement au secteur de la recherche fondamentale, il faudra réfléchir à de nouvelles modalités de financement (facilité de crédits concernant le secteur spatial, etc.…). Peut être faudra-il aussi faire des choix politique nationaux durs concernant des secteurs spécifiques. Ainsi pourrait-on penser à une réforme massive de l’armée française, pour se focaliser par exemple sur la force de dissuasion, la projection rapide, les services de renseignements et les forces spéciales, ainsi que le spatial militaire innovant. Ceci n’est qu’un piste, critiquable, mais envisageable d’un point de vue politique. Notons aussi que les coûts du secteur spatial sont loin d’être énormes. Alors que nous apprenions qu’Ariane IV a coûté presque 9 milliards d’euros, Ariane V n’aurait coûté que 6 milliards d’euro. Selon certaines sources industrielles, un lanceur habité (capsule ou semi-portant) ne devrait pas dépasser les 15 milliards d’euros ! Face à d’autres budgets, ce chiffre fait pale figure…Et même si nous respections les hausses de budgets envisagées par M. Dordain dans son agenda 2007 (30%), nous resterions dans le domaine du raisonnable ! Nous croyons que le problème budgétaire n’est pas un obstacle à la mise en place d’une politique spatiale européenne ambitieuse : c’est une question de politique !

Conclusions :
Nous restons optimistes et profondément ancrés dans une perspective politique qui est la clé indispensable pour concevoir les enjeux du secteur spatial. La faiblesse de certains partenaires à comprendre, ou à s’engager, sur le champ politique fragilise le débat en Europe. Restons critiques et constructifs face à l’Europe spatiale de 2005 et sachons proposer de nouvelles voies encore inexplorées. La considération politique du secteur spatial a été mise en avant entre les années 70s et fin 80s en Europe, lorsque les ambitions étaient telles que nous envisagions de mettre un homme dans l’espace par nos propres moyens : cela s’appelait alors la garantie d’accès à l’espace ! Pourtant, nous ne sommes pas de vilains conservateurs qui ne font que regarder en arrière pour mieux ronchonner. Nous vous avons proposé de nombreuses solutions et ouvert de nombreuses portes et débats dans le domaine qui nous concerne. Peu de personne ont le courage de s’engager sur la voie politique pour une Europe spatiale : nous le faisons et continuerons que cela plaise ou non.

Exprimer son esprit critique est nécessaire, c’est un comportement républicain, démocratique et surtout citoyen soucieux de l’avenir de ses proches. Si parfois nous pouvons paraître utopistes, sachez que nous acceptons le compliment et pensons que le monde n’avance que grâce à de nouvelles conceptions et idées qui sont elles-mêmes confrontés aux précédentes. C’est l’éternel débat des Anciens contre les Nouveaux. Nous sommes l’Europe nouvelle et entendons promouvoir nos idées sur le champ politique, ouvert par nature, au changement perpétuel. Nous engageons les personnes préoccupées par la politique spatiale européenne à agir et à nous rejoindre. Nous croiserons nos idées, débattrons sans fin, ferons progresser nos conceptions et surtout essayerons d’influencer encore plus le cours de la destinée européenne.

Cela ne fait que commencer.

Nicolas Turcat - Président de la NSS France.

NDLR : Attention, les propos tenus dans cet article n'engage que l'auteur.

 

 
 
 
 
Sommaire

Mais il est un autre aspect plus fondamental, ce sont les efforts nécessaires qu’il faut développer pour acquérir ces connaissances, le lanceur capable de propulser cette sonde aux confins du Système Solaire, les générateurs d’énergie nucléaire capables de lui permettre de fonctionner dans cette ambiance, la masse de calculs, de travaux technologiques pour créer Cassini/ Huygens, les réseaux de communications à concevoir etc… et tout cela pour une sonde automatique ! Imaginons ce que serait la masse de recherche et de travail à produire s’il s’agissait d’envoyer des hommes pour une mission scientifique sur Mars ! Dans le passé l’exemple de la Lune est flagrant, c’est le défi lancé par Kennedy et la mise en ordre de marche de l’industrie aérospatiale et autres pendant environ cinq ans afin de le relever qui créa une embellie dont les échos se propagent encore. Cependant les résultats scientifiques produits par ces expéditions lunaires, cette acquisition de connaissances sur l’astre, dans l’instant à des effets plus dilués et hypothétiques. Quelques scientifiques travaillent encore sur le sujet, quelques sondes poursuivent les analyses et les observations, la majeure partie des échantillons géologiques rapportés dorment, des musées vivent des objets-souvenirs du programme, la grande masse des retombées technologiques, en management, scientifiques, intellectuelles etc… est niée ou ridiculisée, mais des éditeurs produisent de beaux livres avec les mémoires des astronautes ou les photos réalisées sur la Lune.

Que ce soit Cassini / Huygens, à petite échelle ou Apollo, c’est bien avec le défi lancé et confirmé dans l’organisation, la création et la concentration des moyens pour le relever que se met en place une dynamique engendrant rapidement, avec des activités de recherche, de construction et de logistique, une sphère potentielle comprenant l’enthousiasme, l’intérêt ,une bonne formation et de bons emplois ; enfin les lueurs d’une « nouvelle frontière » ou beaucoup peuvent y trouver à leur mesure de quoi s’y tailler un avenir décent. Ultérieurement le défi relevé, les connaissances acquises partiellement assimilées, une forme d’opération-explotation apparaît, servant à de nouveaux objectifs pour se hisser plus loin, l’effet devient multiplicateur et l’on change de dimensions économiques, scientifiques, techniques, culturelles. Cette alliance entre le défi humain de haute volée, l’organisation nécessaire à créer, et l’utilisation intensive de la création et du progrès pour le relever est le moteur de l’évolution humaine. Et Kennedy l’avait compris. C’est parce que faire vivre des hommes dans le Cosmos est difficile et complexe, et requiert en harmonie toutes les capacités humaines, que cette voie permettra d’offrir à tous un avenir décent !

A.T.

Post Scriptum à propos d’une nouvelle mode : l’exploration !

Ce qui créa l’aviation, ce fut : « Je veux voler, je veux faire du business ou même la guerre avec ces machines » !!! « Je veux mesurer la température de l’air à mille mètres, la pression atmosphérique à dix mille pieds, ou sa composition » n’avait pas besoin de ce fourbi compliqué qu’était les avions à leur début, mais aussi ne pouvait pas créer un nouveau potentiel d’activités qui deviendra une des plus belles aventures industrielles du XXe siècle

 

Depuis de nombreuses années, Monsieur Serge Brunier s’est fait une spécialité de nous donner son commentaire sur les vols habités. Il « baigne dans le milieu aérospatial depuis plus de 20 ans… » Ces livres traitant du ciel et de l’espace sont traduits en une dizaine de langues et se sont vendus à près de 300.000 exemplaires, il connaît de nombreux astronautes !!! Enfin quelqu’un de compétent !!! Hélas son dernier article dans la revue Science & Vie de Mars 2005 intitulé : « Retour sur la lune : est-ce bien sérieux ? » est un modèle de démagogie, d’empirisme et de manipulation. Avec la critique de cet article il ne s’agit pas de soutenir sans discernement la proposition de l’actuel président, cette dernière a de nombreuses lacunes : applications de concepts économiques envers l’agence spatiale donnant à douter des résultats ; financement de l’initiative risqué principalement par transferts ou abandons ; le pays est engagé dans une guerre dont l’issue est incertaine ; le budget militaire énorme ; depuis le 14 janvier 2004, le président, n’a pratiquement jamais abordé ou soutenu sa proposition en public, laissant à la NASA ce travail, et pourtant les choses se mettent en place ; le processus budgetaire américain entre l’exécutif et le Congrès conduit souvent à des luttes dévastatrices pour le programme spatial etc. Malgré tout cette « vision », d’après nous, demeure une base adéquate pour concrétiser l’hypothèse d’un avenir humain dans l’espace. De plus, ailleurs, il n’y a rien, la prospective générale n’existe plus ou s’enracine dans le pessimisme, l’égoïsme individuel remplace l’objectif commun. En Europe certains veulent opposer le projet Aurora à la proposition américaine, mais des concepts politico-économiques en vogue le vident de sa substance.

A partir de ce constat, deux questions apparaissent à propos de cet article : L’homme a-t-il une place dans l’espace ? L’écrit de Serge Brunier démontre-t-il l’ineptie des propositions du Président américain ?

Dans les colonnes précédentes de ces lettres nous avons essayé d’exprimer pourquoi la proposition d’une « spacefaring civilization » ne se réduit pas à une simple élucubration tirée de la science-fiction. Nul besoin de la recherche d’une vie extraterrestre, de l’explosion du Soleil, ou de la surpopulation, pour nous, la nécessité est simplement Humaine, donc intellectuelle et économique. Intellectuelle, car l’Homme veut s’éduquer, comprendre, aime imaginer, concevoir et créer, le défi reste un bon stimulant pour absorber ces qualités ; économique, dans le sens où ce terme représente un ensemble d’activités permettant à une collectivité de vivre décemment ! En imaginant et en donnant naissance par le progrès, la science et la technique à un potentiel d’activités en expansion, suffisamment général et vaste afin que chacun, en toute liberté, avec son niveau et ses envies puisse s’y impliquer, les exigences concernant un avenir décent pour l’humanité sont remplies. Les multiples défis à relever pour créer ex-nihilo une « spacefaring civilization » sont incommensurables, les accepter obligerait l’humanité à faire de tels progrès, dans tous les domaines, que ce choix d’avenir forcerait à des révolutions pour briser les barrières intellectuelles, scientifiques, techniques et économiques. La « gestion des affaires courantes » ne fonctionne plus ! Il faut imaginer et créer des potentiels que n’existent pas. Et tant mieux si la Lune n’est qu’un cailloux sec et froid ou Mars un « Tchernobyl » à l’échelle d’une planète, car la masse de Travail à fournir pour y faire vivre quelques individus - peut-être plus dans le futur – sera d’autant plus grande que les conditions y sont extrêmes. Nous pouvons en produire de la Science et de la Technique en tout genre avant d’y arriver. Encore une fois, la gestion à coût minimum, ou l’optimisation de ce que d’autres ont créé, il y a longtemps, ne répond pas à ce défi, il faut inventer et vraiment Innover. La mise en route, progressive mais impérative du « train humain » où le tracteur s’appelle « spacefaring civilization » et tire par le progrès et la science générés deux wagons nommés « développement des pays pauvres » et « véritable politique environnemental » peut réellement nous ouvrir un futur plus optimiste que celui proposé par la concurrence à outrance sur des produits éculés, le réchauffement de la planète et les emplois de service ! Deux affirmations mériteraient des explications complémentaires que nous reprendrons ailleurs : Le tracteur « spacefaring civilization » n’est pas séparable de ces deux wagons, harmoniquement, les trois font accéder à un avenir, choisir ou abandonner l’un au détriment des deux autres conduit à une impasse. L’astéroïde frappant la planète ne se voit qu’au cinéma, mais quelques informations récentes montrent que certains bolides ont des trajectoires proches de la Terre et que des collisions avec d’autres corps du Système Solaire existent. Nous pensons qu’une civilisation maîtrisant le vol spatial, établie au moins sur deux corps célestes est mieux à même de prévenir et de trouver des solutions à ce genre de problème qui n’est pas forcément que de la Science-Fiction.

Monsieur Brunier démontre-t-il l’ineptie de la proposition du Président américain ?

Nous le répétons la proposition du président américain n’est pas parfaite et ses chances de survie sont minces, mais elle existe. Elle représente actuellement, qu’on le veuille ou non, l’unique réponse à l’hypothèse d’une « spacefaring civilization ». Cette dernière étant, selon nous, la seule alternative cohérente et décente, envisageable pour le futur de l’humanité. Vouloir démontrer l’ineptie de la proposition par de l’empirisme ou des effets de propagande relève du sectarisme et de l’intégrisme.
L’article présente, en premier lieu, une interprétation totalement superficielle des faits historiques et politiques concernant le programme spatial habité américain. Une lecture des documents concernant la politique spatiale, mais aussi générale, l’économie et la sociologie, dans les périodes pré-Kennedy, Apollo, celles de la génèse de la navette ou de la station spatiale, permet de comprendre que les gens qui conçurent et gravitèrent autour de ces programmes n’agirent pas aussi « bêtement » que l’auteur le laisse penser. Des travaux restent à produire dans ce domaine, et ils sont beaucoup plus complexes que les sempiternels refrains : « … Apollo, apogée de la Guerre Froide entre les Etats-Unis et l’URSS ; la NASA qui n’a plus les moyens illimités de la Guerre Froide … », les bonnes phrases de George Keyworth prises pour des vérités immuables ou « … l’ISS, cette station spatiale à 100 milliards de dollars qui n’a tenu aucune de ses mirobolantes promesses… ». Apollo ne se résume pas à un engagement financier destiné à résoudre un problème à un instant de la Guerre Froide ; cette interprétation déformée est depuis un certain temps mise en avant car elle élude toutes questions à propos d’une volonté politique quelconque d’entreprendre un grand programme quelqu’il soit. La station spatiale qui n’aurait pas tenu ses promesses ! Mais comment aurait-elle pu le faire ? Les causes de cette incapacité, comme celles de tous les espoirs d’une science et d’une industrie en orbite basse sont à rechercher dans une gestion politique complètement délirante, et calamiteuse de ces programmes et projets. Les désintérêts des politiques, les sous-financements chroniques, les changements répétés dans les architectures, les révisions toujours à la baisse, les modifications techniques continuelles, les tripotages, les micro-management de politiciens pour des intérêts électoralistes locaux etc. ont cassé tous ces potentiels ! John J. Madison et Howard E. McCurdy dans un article de la revue Space Policy (numéro 4, Novembre 1999) intitulé « Spending without results : lessons from the space station program » décrivaient parfaitement les turpitudes subies par ce programme, qui un an plus tôt, après 15 années de ratés voyait enfin un premier élément concret atteindre l’orbite basse ! Dans ce domaine où l’incohérence politique rejoint des concepts économiques inadéquats, l’exemple de la genèse de la navette entre 1969 et 1976 n’a pas suffi, celui de la station n’a pas été assimilé, il sera le problème majeur rencontré par l’initiative du Président Bush.

Ceci introduit le second point de doute concernant la démonstration. L’auteur, dans son texte et dans d’autres lieux de débat se veut démystificateur, ambitionne, dans l’intérêt du contribuable, de rétablir la vérité à propos de l’inutilité de l’homme dans l’espace. D’aucun pourrait se dire : voilà un « chroniqueur scientifique » dénonçant la dictature de la technologie, du progrès, du complexe militaro-industriel et de la consommation, mais hélas ici aussi il y a tromperie. Par exemple, la majeure partie de l’argumentation de Monsieur Brunier repose sur les coûts supposés excessifs du plan présidentiel, pour cela il utilise « l’audit accablant » réalisé par l’Office du Budget du Congrès en septembre 2004. Effectivement ce dernier démontre dans ses divers scénarios que les estimations de la NASA sont optimistes et doivent être majorées grossièrement d’un tiers. Cependant l’étude constate aussi que « … les coûts définitifs des activités de la NASA, comme ceux de la plupart des programmes de développement majeurs dans d’autres organisations (tel que le DOD ) ont été historiquement plus grands que les estimations initiales anticipées. ». Les comparaisons de l’auteur dans le domaine des coûts sont également intéressantes : Un robot martien = 300 millions de dollars ; Apollo = 170 milliards de dollars, CQFD : envoyer un homme sur la Lune ou Mars coûtera 500 fois plus cher qu’un robot ! A NSS France nous proposons une autre interprétation : un robot de technologie connue comme Opportunity fit travailler une centaine de personnes pour sa construction et sa mise au point pendant trois ans pour une moisson scientifique proportionnellement captivante, des millions d’internautes pendant la durée de sa mission se connectent et rêvent devant les prises de vue, à plus long terme un millier de scientifiques par le monde vont être concernés, « Nature » publiera des articles, les connaissances et les hypothèses sur Mars évolueront, enfin quelques maisons d’éditions feront de beaux livres de photos. Apollo fit travailler 410.000 individus la meilleure année du programme sur des choses que personne ne savait réaliser, une planète entière rêva à un point tel que 40 ans après un président des Etats-Unis, que l’on qualifiait de peu concerné par l’espace, réutilise une variante du concept pour aller de l’avant. Il est vrai que la moisson scientifique des missions lunaires fut relative, mais les causes sont à rechercher dans un arrêt brutal du programme en raison de facteurs sociétaux et politiques discutables. Il n’en demeure pas moins que l’ère Apollo lança les plus belles missions scientifiques ultérieures dans le Système Solaire comme les Pioneers, Voyagers, Mariners, Vikings etc… Enfin partir du Viaduc de Millau en passant par l’Airbus 380 ou la Navette pour démontrer la demesure du projet américain est une approche ! A NSS France nous présentons l’affaire autrement : pour atteindre les objectifs de la vision en 2020 la NASA disposerait d’un budget global, toutes activités confondues, de 271 milliards de dollars, ou un un budget annuel sans augmentation de 16,8 milliards pendant 16 ans ; à titre de comparaison le DOD dispose de 400 milliards de dollars par an, les opérations en Irak étant exclues, donc dans la même période, à ce rythme, il aura consommé 6400 milliards de dollars !!! Le montant total des profits engrangés par les 5 premiers groupes privés mondiaux en 2004 : 84 milliards de dollars ; Procter & Gamble rachète Gillette pour 57 milliards de dollars etc… Tous les jours la presse financière nous livre son lot de démesures !!! Bien sûr certains vont hurler à l’amalgame, mais parler du budget « pharaonique » de la NASA ou dire que le budget de l’initiative Bush est égal à 10 fois le PNB de Madagascar ne sont pas des arguments recevables pour démontrer l’ineptie de la proposition américaine ! Et là encore monsieur Brunier ne fait que cautionner un processus économique à la mode paralysant toutes initiatives à long terme dans divers domaines. Beaucoup commencent à constater que ces mêmes incantations monétaristes néolibérales en vogue, par leur incompatibilité avec des investissements élevés sur des temps de développements longs, au profit de retours juteux et rapides sont incapables de soutenir la moindre ouverture vers l’avenir. Ce sont ces théories mal assimilées, étendues à tous les secteurs de l’économie qui depuis 35 ans font beaucoup plus de mal à la Science et à Madagascar que les quelques milliards de dollars péniblement alloués chaque année à la NASA.

La troisième démonstration visant à démasquer la colossale utopie que représenterait l’affirmation présidentielle « Nous pourrions découvrir sur la Lune ou sur Mars, des ressources qui défient l’imagination » ne nous convainc pas plus. Avant tout, monsieur Brunier ignore les divers rapports des Academies américaines et utilise en référence celui de la « prestigieuse » « American Physical Society » ! Parfait, mais il faut dire que cette « Society » s’est particulièrement spécialisée depuis des années dans des positions contre l’homme dans l’espace ; quant à faire « bondir 45000 chercheurs » là nous sommes dans le langage de bois ! Dans la même veine il aurait pu en appeler à Robert Park de l’Université du Maryland (Voodoo science) ou à Messieurs Lebeau, Blamont ou Allègre ainsi qu’à Robert Bell ! « Exit l’astronomie sur la Lune, exit la base lunaire, exit l’hélium 3 » mais parions que si la moindre infrastructure était construite un jour là-haut, messieurs les « scientifiques » seraient les premiers à exiger leurs places et les moyens d’y travailler dans tous les domaines y compris celui de l’astronomie. Comment une personne prétendant être un « chroniqueur scientifique » peut-il être si radicale ? Un corps ou une matière présentant simplement un attrait culturel à un moment de l’Histoire comme le pétrole, l’uranium, la pierre d’aimant ne peut-il pas devenir stratégique quelques centaines d’années plus tard ! Une invention, un projet peut sembler de la Science-Fiction ou une utopie maintenant et devenir un potentiel économique incontournable dans un siècle. Cela nous remet en mémoire ce brillant officier supérieur qui en 1914, alors qu’on lui parlait du rôle de l’aviation, affirmait que tout cela n’était que du sport, la suite est connue. En complète opposition avec l’article actuel de Science & Vie, monsieur Brunier écrivait dans la revue Ciel & Espace, en 1989 un article intitulé : « 2025 : le grand télescope lunaire » ; en 1987 « Retour à la Lune » présentait les travaux de la NASA sur le sujet différemment : la production d’oxygène était la première industrie lunaire. !

Contrairement à ce que beaucoup pense les objectifs d’un programme spatial ne se réduisent pas à une forme de compréhension passive de l’évolution des planètes, de l’univers ou à la recherche de la vie ; Apollo et le programme lunaire avaient d’autres buts, cependant, ce fut dans leur foulée qu’apparurent les programmes scientifiques qui irriguèrent les décennies suivantes. Dans le système actuel, où toute grande perspective non-immédiatement rentable doit se plier à un pragmatisme monétaire superficiel éloignant toutes ressources financières, la communauté scientifique a du mal à percevoir que les dotations ne se résument pas à un problème de vases communiquant mais à un choix d’avenir. En interprétant la présence humaine dans l’espace comme un ennemi héréditaire - « envoyer un homme sur la Lune ou Mars coûtera 500 fois plus cher qu’un robot » - sans se rendre compte que de toute façon l’argent gagné sur l’humain n’ira pas au robot, elle « scie la branche sur laquelle elle est assise ». Là encore l’initiative américaine en mêlant les deux activités – bien que la question du financement reste à résoudre et hormis l’aspect émotionnel de l’affaire Hubble dont avons parlé dans d’autres lettres – n’est pas inepte.

Enfin remarquons la manière « manipulatrice » avec laquelle est construit l’article, elle nous porte à douter de l’impartialité de monsieur Brunier ! Quelques exemples parmi un tourbillon d’affirmations assénées à coup de massue :

Ce qui est en faveur de la thèse de l’auteur est traité de manière flatteuse : l’audit est accablant, l’American Physical Society est prestigieuse, les 45000 chercheurs bondissent ! Mais, le budget de la NASA est pharaonique, la posture à la Kennedy (du président Bush) avait fait sourire, on attend l’hypothétique satellisation de la navette, des noria de vaisseaux automatiques, les ingénieurs de la NASA ne savent pas comment retourner sur la Lune, le devis est largement sous-estimé, l’entreprise serait un gouffre financier, l’industrie aérospatiale américaine surdimensionnée depuis la fin de la conquête de la Lune, une colossale utopie, le seul argument du président qui fasse l’unanimité : il est inepte, etc. etc …. Tout cela n’est que du sophisme racoleur !

Qui a vu et écouté le président Kennedy au Congrès le 25 Mai 1961 puis le Président Bush le 14 Janvier 2005 au Headquarter de la NASA peut se rendre compte que les contextes, les concepts de société, les présentations et le organisations des programmes, les lieux, les ambiances, le charisme du premier, la réserve du second, tout est différent, rien n’est comparable !

Parler du budget pharaonique de la NASA en le mesurant à celui de l’ESA fait sûrement plaisir aux européens ! Mais cet écart demeure explicable, l’Europe ne croit pas au spatial habité, elle place ses ambitions dans des applications et services classiques (navigation, observation, communication) qu’elle espère juteux, elle y ajoute un peu de science, elle espère beaucoup et naïvement selon nous de la coopération avec le Russie, son mini-budget correspond à une logique de Marché, conservatrice et sans risque. La NASA qui investit plus dans l’espace et entretient une infrastructure pour le vol habité a un budget en conséquence ; par contre comparé à celui du DOD ou aux sommes du monopoly qui se joue à la Bourse tous les jours, le terme pharaonique ne nous semble pas adéquat !

Les tableaux du texte et leurs commentaires sont également révélateurs de l’empirisme de l’analyse et de l’orientation que l’auteur cherche à lui donner. Le premier : « L’exploration spatial en déclin. Les chiffres sont sans appel : le nombre de lancements en orbite est en chute libre. La conquête spatiale est passée de mode » ; et c’est exact ! Comme est passé de mode le développement de l’Afrique, le budget de la recherche fondamentale, et tous les grands investissements que le « Marché » décrète inintéressants quant aux retours d’investissements. En ce qui concerne l’espace, ce dernier considéra les services comme les communications, la navigation et l’observation comme juteux ; mais l’innovation technique, l’accroissement de la longévité des satellites et les diverses crises épuisèrent logiquement ces sources limitées. A part les sciences spatiales, apanages des agences mais qui durent se plier à « faster cheaper and better », le reste fut qualifié d’irréaliste, d’utopie, de science-fiction : donc exit comme aime écrire monsieur Brunier ! Le tableau « il manque 50 milliards de dollars » sur 15 ans est une des conclusions issue de l’étude du Bureau du Budget du Congrès ; il ne nous inquiète pas car il est évidemment impossible de chiffrer exactement des dépenses engendrées, sur une longue période, avec tant d’inconnues, pour ce genre d’activité. Cela était vrai aux temps de la construction des Pyramides et l’est encore avec un chasseur relativement classique comme le F-22. Une relecture des « Hearings » au Congrès pour les années 1962-66 montre, que contrairement à une autre idée reçue, l’argent n’était pas illimité pour l’agence américaine, elle mettrait aussi en évidence le travail responsable de l’Administrateur Webb pour maintenir le programme dans les enveloppes allouées. Nous ne reviendrons pas sur la valeur du dépassement sur 15 ans qui nous paraît ridicule par rapport à d’autres sommes évoquées plus haut. La gravure intitulée « Une ‘vision’ qui exige des moyens bien supérieurs au programme Apollo » reprend, à sa partie basse, l’infrastructure d’Apollo de 1969 à 1972 : 16 lanceurs construits, 12 astronautes sur la Lune ; puis au milieu, ce qui correspond au discours du président Bush, validé par la NASA et qu’elle tentera de concrétiser de 2005 à 2020 : 4 lanceurs, 1 alunissage, 2 astronautes sur la Lune ; enfin, en haut, ce que l’auteur appelle curieusement « la ‘vision’ de G. Bush… après 2020 » : 30 lanceurs sur 10 ans, 20 modules de commande, 200 tonnes, 20 LEM, une base lunaire, 60 astronautes ?! Mais là, nous sommes en pleine spéculation, ce n’est pas ce qu’a défini le président américain, au contraire, la proposition présidentielle doit rester ouverte à toutes les possibilités offertes par l’évolution des choses, ce n’est pas ce sur quoi travaille la NASA et cela n’entre pas dans les demandes de financement de la Maison Blanche !

Chaque phrase mériterait débat, nous arrêterons là pour aujourd’hui !!! En conclusion nous pourrions seulement accorder à l’auteur que la proposition du président américain est difficilement réalisable dans le contexte culturel, politique et surtout économique actuel. Le côté technique de la proposition est abordable avec l’état de l’art actuel ou supputé accessible, un effort important restant à réaliser pour enfin acquérir une sortie du puits gravitationnel terrestre efficace. La seule question restant en suspend est : Pendant combien de temps encore l’humanité va-t-elle accepter un corpus d’idées philo-économiques incapable de lui assurer un avenir ? Mais ne craignez rien, nous nous reverrons, monsieur Brunier a dans la tête un livre « pour informer le contribuable sur les fantasmes du vol habité »

A.T.

P.S. Bien que n’apparaissent pas dans le texte de Science & Vie, il est impossible de passer sous silence la délectation avec laquelle Serge Brunier nous annonça, ailleurs, le report (pour lui l’abandon) du programme Jimo/Prometheus. De même son approche de l’histoire des technologies avec des exemples sur les causes de la stagnation des performances dans les 40 dernières années dans des secteurs comme l’aéronautique ou l’astronautique, nous confirme qu’effectivement nous sommes à des années lumière des concepts de sa vision de l’humain.

 

 La recherche fondamentale engendre toujours les principes qui serviront au développement de nouvelles technologies et ne vise pas seulement à satisfaire les projets justifiés des scientifiques. D’autre part la conquête de Mars, en constituant un véritable défi pour notre science et notre technologie, sera un des principaux catalyseurs des activités humaines pour les siècles futurs. Dans différents articles que nous avons publiés au cours des années passées, nous nous sommes efforcés de démontrer pourquoi et par quel type de stratégie, un accroissement des activités de l’homme hors de sa biosphère (Lune, Mars et astéroïdes) était la seule opportunité pour sortir de certaines impasses économiques et technologiques. En effet un programmes martien à marche forcée est le moyen le plus approprié pour opérer des sauts significatifs dans 3 grands domaines scientifiques:la fusion thermonucléaire, les rayonnements cohérents et l'optique biophysique. Tout ceci constitue, pour reprendre l'expression de l'historien des sciences et des techniques Bertrand Gille, le NOUVEAU PARADIGME TECHNOLOGIQUE dont on peut attendre de nombreuses retombées pour la résolution de problèmes terrestres, au premier rang desquels on pense aux techniques agricoles et à la lutte contre la désertification, à la biologie et à la médecine et, bien sûr, à de nouvelles formes de production d'énergie. Des programmes terrestres "directs" ne donneraient jamais le même niveau de résultats, ce qui fait que ce défi devient en fait par lui-même une justification. Grâce aux programmes martiens nous pourrons mobiliser, au niveau international, les meilleures équipes de chercheurs en les faisant travailler à la limite de la frontière technologique et scientifique. L’intérêt essentiel de la conquête spatiale ne sera pas d'apporter des produits de l’espace (à exception des matériaux des astéroïdes et du titane lunaire) mais de la connaissance qui transformera et -améliorera notre mode de vie sur Terre.

Si l'on sait, qu'en tenant compte des meilleures technologies disponibles ou en cours de développement, l'envoi d'un seul kilogramme de charge utile vers Mars coûtera au bas mot 55000 à 60000 dollars, il n’est pas besoin d'être un économiste patenté pour comprendre que la seule voie permettant la conquête de Mars (et même pour de seuls buts scientifiques) consiste à implanter d'un seul coup toute l'artillerie énergétique et technologique permettant à la fois une totale autarcie et de poser de façon solide les bases d'un développement ultérieur. Un peu comme si on larguait dans le désert toute une équipe avec un gros camion chargé des abris à fabriquer, des systèmes de détection et de traitement de l'eau, des machines-outils, des systèmes agricoles clos et un véhicule, mais livré un pièces détachées.

De notre point de vue, une fois les tâches préalables de repérage des sites et des ressources effectuées par des robots, mieux vaudrait forcer les étapes par une stratégie étalée dans le temps. Ces étapes sont la base relais en orbite terrestre basse, une base en orbite géostationnaire et, la plus importante, la colonisation et l'industrialisation lunaire, indispensables pour mettre en place les bases du programme martien en permettant de construire à meilleur coût dans l'espace l'architecture de base des vaisseaux en partance pour la planète rouge cette stratégie, à nos yeux la plus intéressante et apportant un formidable avantage par rapport à un lancement terrestre et un assemblage circumterrestre, est basée sur l'analyse selon laquelle des coûts d'investissement plus élevés au départ finissent, étalés dans le temps, par revenir MOINS CHER si ce projet débouche rapidement sur un processus autarcique, sans peser sur de lointaines ressources terrestres. Ainsi un projet international s'élevant entre 700-800 milliards de dollars, conçu selon une stratégie étagée et étalée dans le temps, serait plus intéressant, économiquement parlant, qu'un programme à 200 milliards de dollars ou à 50 milliards de dollars comme celui élaboré par Robert Zubrin et que l'on peut qualifier de funambulisme technologique. Pour réussir ce plan de conquête martienne, il faut éliminer dès le départ tout débarquement de prestige, ou constituant un "but en soi", et qui ne puisse par nature contribuer à enclencher immédiatement les étapes ultérieures. Si un tel type de programme était maintenu tel quel que la vision actuelle, sans être intégré dans une véritable stratégie cohérente de conquête de l'espace, fort grands seraient les risques de reproduire, à une toute autre échelle, la philosophie du vol Apollo-Soyouz de 1975. Chacun aura pu prouver son existence en tant que puissance spatiale, les médias se seront faits temporairement les témoins d'une expérience exaltante, quelques dizaines de kilos d'échantillons martiens auront été répartis entre quelques gros laboratoires, après avoir été ramenés par 6 ou 7 astronautes qui entreront dans la postérité ... Toutefois ces 250 à 300 milliards de dollars auront été dépensés sans déboucher sur quelque chose durable, en 2035 les heureux laboratoires travailleront toujours avec les mêmes échantillons, et les programmes martiens seront peu à peu mis en veilleuse par une décision du pouvoir politique qui trouvera "l’addition'' trop lourde.

Les implications d'un programme de conquête martienne sont tellement énormes, et le coût des investissements de démarrage tellement élevé, qu'il nous faut dès maintenant définir la stratégie la plus adaptée devant conduire au succès dans un délai raisonnable. D’autre part il faut rappeler qu'en estime que chaque dollar investi dans le programme Apollo a engendré entre 10 et 20 dollars en retour dans l’économie civile, c'est à dire que la rentabilité de ce projet devra se calculer par ses effets sur le processus productif dans son ensemble.

L'étape lunaire.

La Lune sera indispensable au projet martien à cause des matières premières facilement exploitables situés dans sa croûte, Ses spécificités de son environnement, favorisant le traitement de ces matières premières un produits semi-finis et finis, et de sa faible gravité. Cette dernière représente l'avantage principal de la Lune pour la conquête du système solaire. Il faut en effet un Delta-V de 1,7 kilomètre seconde pour se positionner sur une orbite lunaire en partant de la surface de notre satellite avec des systèmes de propulsion peu performants. Le même Delta-V se situe à 2,4 pour échapper définitivement à l'attraction lunaire, chiffre à comparer aux 11,4 nécessaires pour échapper à la gravité terrestre et aux 7,9 nécessaires pour parvenir seulement sur une orbite basse terrestre en partant de Kourou ou de Cap Canaveral ... Ceci explique pourquoi, en termes d’énergie, les différentes orbites terrestres sont plus "PROCHES" de la Lune que de la surface terrestre et pourquoi il sera plus intéressant de construire nos vaisseaux martiens MAJORITAIREMENT à partir de composants et produits semi-finis lunaires qu'il serait possible de traiter dans l'espace. Se situant dans la perspective martienne, nombre des produits suivants pourraient, selon le pionnier Krafft Ehricke, être exportés vers l’espace: tôles et poutrelles d'aluminium, de magnésium, de titane, fer et alliages divers, verre et laine de verre, céramiques et alliages réfractaires, matériels d’isolation thermique et électrique, structures entières de métal et de différents alliages pour installations orbitales, boucliers thermiques, matériaux d’isolation, blindages et matériaux anti-radiations pour stations spatiales, réservoirs de combustible spatial, composants de vaisseaux interplanétaires.On trouvera donc parmi tout ceci une grande partie du matériel à déposer sur Mars et qu'il faut évaluer en MILLIERS de TONNES. Ces produits lunaires ne vont pas bien sûr être utilisés uniquement dans le cadre du programme martien. Ils permettront également de lancer un processus d'industrialisation en ORBITE TERRESTRE BASSE, car nombre des productions que nous venons de décrire s’intègrent dans le développement d'usines spatiales conçues pour la réparation des satellites, la construction de vaisseaux spatiaux et à de centrales productrices d’énergie, l’installation de petites usines automatique opérant dans les domaines des sciences de la vie et des matériaux.

La réussite de ce processus dépendra de la capacité de l'industrie lunaire à fabriquer en masse des éléments standardisés facilement intégrables dans l'espace par une association homme-robots. Ces éléments pourraient être éjectés sur une orbite lunaire par des systèmes d'accélérateurs électromagnétiques, inspirés des idées d’Arthur Clarke et de l'ingénieur français Bachelet. Ces éléments seraient récupérés à cet endroit par des remorqueurs automatiques jusqu’aux orbites demandeuses. La colonisation lunaire changera donc radicaleinent les conditions du programme martien en constituant sa base économique et infrastructurelle, tout un réduisant les coûts de façon indirects grâce à un processus industriel autonome autour de la Lune et de la Terre.

La solution du nucléaire.

En "passant par la Lune", il serait possible de construire deus grands vaisseaux martiens qui devront impérativement être à propulsion nucléaire. En effet, l'emport de gros réservoirs à hydrogène et oxygêne liquides pour des moteurs chimiques conduirait immanquablement à l’échec de notre programme de conquête martienne ! Si l'on considère, après un grand nombre de missions de repérage automatiques destinèes non seulement à préparer débarquement humain mais aussi son implantation, et aprës que des cargos automatiques aient été lancés dans le but de livrer sur Mars les grandes quantités de matériel indispensables au processus de démarrage, il devient évident que des systèmes de propulsion chimique d'engins, même mis en œuvre et assemblés à partir d’une orbite basse terrestre, ne suffiraient pas à amorçer le processus de démarrage des activités sur la planète rouge. Si nous décidons d’aller sur celle-ci en construisant deux grands vaisseaux avec une architecture composée d'éléments lunaires, seuls viennent de la Terre le système de propulsion nucliaire, l'avionique, l'informatique et les systèmes de survie. Nous allons sur Mars non seulement pour ramener quelques centaines de kilos d’échantillons (rôle d’une partie de l’équipage qui reviendra sur Terre au bout de 400 jours) mais pour installer un important contingent de scientifiques, avec l'importante quantité de matériel adéquat, et qui sera relevé deux ans après que les planètes Terre et Mars seront de nouveau en position de conjonction favorable. Dans un articie que nous avions publié un 1996, nous avions expliqué qu'un projet conçu de cette façon pouvait permettre l’embarquement de 200 spécialistes capables d’oeuvrer éfficacement pour constituer le "noyau dur" à partir duquel vont pouvoir démarrer à la fois les indispensables recherches scientifiques et le processus économique et industriel autarcique. En tenant compte, pour chacun des deux vaisseaux, de l’emport d'environ 100 astronautes, du matériel scientifique sophistiqué non transportable par les cargos automatique à propulsion électronucléaire, précédant la mission et ultérieurement récupérés en orbite martienne, du ravitaillement, de l’eau, des systèmes de survie, de recyclage de l'air et des déchets, des modules de débarquement, c’est à chaque fois environ 1000 tonnes (sans compter la masse de notre vaisseau) qu'il nous faut faire parvenir en orbite martienne. Pour une simple opération de prestige de 6 à 7 astronautes, et en choisissant la solution chimique cryogénique avec un départ de la surface terrestre, la masse de la structure de départ, progressivement larguée lors des premières phases du voyage, se situerait aux alentours de 20000 tonnes (soit 10 fois plus que la navette américaine sur son aire de lancement lorsqu'elle est encore accolée à son réservoir externe et à ces propulseurs d'appoint SRB). Avec la solution terrestre nucléaire (solution nucléothermique où l'hydrogène liquide lancé à grande vitesse au coeur d'un réacteur sert à la fois de réfrigérant et de fluide propulsif), un départ "terrestre" implique encore une masse de 10000 tonnes, soit 5 fois la structure de départ de la navette.

Dans in cas d’une option tout cryotechnique, il serait également possible' de réduire la taille des grands réservoirs d’hydrogène liquide (toujours dans le cas d'un programme de prestige impliquant 300 tonnes en orbite martienne) si on fait appel à !a solution pour Ie retour imaginée par les Américains Singer et Cutts. Celle-ci consiste à utiliser L’hydrogène et l’oxygène que l’on trouve dans les roches du satellite martien Phobos avant de les liquéfier. Dans la cas d'une option nucléothermique, cette opération ne concernerait plus que l’hydrogène. En fait, l'économie réalisée est en partie obérée par la complexité de l’opération et ne pourrait être intéressante qu'à partir d’un certain nombre de vols et si ses implantations industrielles existent à la fois sur Mars et sur Phobos. Sur l'orbite martienne, il serait effectivement intéressant de parquer une réserve de tankers à cet effet pour les liaisons entre Mars et les orbites terrestres ou lunaires.

Il est bien évident, pour ces masses à faire arriver sur l'orbite martienne, que notre opération de débarquement implique un effort d'une toute autre échelle. Pour faire parvenir deux fois 10000 tonnes à proximité de Mars, il nous faut bien évidement envisager d’énormes vaisseaux, construits de préférence dans un chantier situé en orbite cislunaire, dont la masse se situe entre 5000 et 6000 tonnes, ce qui implique préalablement de traiter 15000 à 20000 tonnes de matériaux lunaires et d'apporter de la Terre (sur ces 5000 à 6000 tonnes) deux fois 400 à 500 tonnes. Cette dernière masse correspondrait pour les deux tiers à de gigantesque moteurs nucléaires amenés en orbite par des fusées Energya ou une version automatique de la navette comme la Shuttle-C, le SDHLV, le Side Mount Vehicle, Magnum ou Star Eagle assemblés en orbite. Sur les 4500 à 5000 tonnes résiduelles, la structure proprement dite du vaisseau (à cause en partie du des réservoirs d’hydrogène en cas de solution nucléothermique) en représenterait la moitié : les blindages nécessaires pour protéger notre important équipage des rayonnements .gamma. ‘’primaires" (venus du coeur du réacteur) et "secondaires" (induits par ces derniers à la suite de pertes d'énergie lorsqu'ils traversent des parois) s'élèveraient à 1500 tonnes et, enfin sur les 500 à 1000 tonnes résiduelles, le quart pourrait être destiné aux aménagements intérieurs du vaisseau et à ses équipements de contrôles informatiques et électroniques, tandis que le reste serait constitué par les chaloupes de débarquement martiennes et de petits vaisseaux robotisés nucléoélectriques. Un dérivé du système GPNER, ainsi étudié et proposé par les Soviétiques et apte à offrir une poussée de 400 à 500 tonnes, constituerait le système idéal. Ces GPNER, ainsi que les chaloupes de débarquement, seraient placés sur 1 extérieur du vaisseau dans de petites coques creuses fermées, accessible de l’intérieur pour d'éventuelles réparations. Ils pourraient aussi à la manière des remorqueurs de haute mer, être utilisés pour la dernière phase de mise en orbite de nos deux vaisseaux martiens, une fois les moteurs nucléothermique coupés. Là encore, nous voyons pourquoi cette opération ne peut être conduite que si elle est soutenue par une base industrielle lunaire préalable. Le coût de cette phase ne devrait pas dépasser les 200 milliards de dollars si nous opérons en "stratégie indirecte". il est évident que la phase proprement dite du débarquement martien sera la plus critique, et il faut pour cela que nos astronautes arrivent en bon état vers la planète rouge .... Permettant à masse égale une fourniture d’énergie 2 millions de fois supérieure au pétrole, le nucléaire spatial nous offre aussi des opportunités pour RÉDUIRE la durée du voyage vers Mars. Celui-ci n'est un effet pas une mince affaire à cause de la distance éloignée et variable avec la Terre. En effet lorsque la planète rouge se rapproche de nous, la distance la plus proche entre les deux planètes (dite de conjonction intérieure) avoisine encore les 56 millions de Kilomètres et cette opportunité ne se reproduit que tous les deux ans. Il est facile de comprendre pourquoi il faut lancer la vaisseau habité avant cette conjonction : du fait que la Terre se déplace plus vite que Mars, l’angle de visée entre le moment où l’on lance et celui où l’on arrive en vue de Mars aura considérablement évolué. Rap là même, la distance par rapport à la Terre ne fera qu’augmenter, rendant la voyage quasiment impossible à moins, bien sur, de pouvoir disposer de propulseurs matière/antimatière permettant de réduire le voyage à 36 heure ! (sic, NDLR : les propos de l’auteur ne regarde que lui-même !). Mais dans l'état actuel de la technologie spatiale, et en faisant des projections jusqu'en 2035, les contraintes respectives terrestres et martiennes de la mécanique céleste resteront donc la principal facteur à prendre en considération pour réduire la durée du voyage. Les calculs effectués en 1925 par l'allemand Hohmann montrent que la route martienne à énergie minimum impose à notre vaisseau de quitter l'orbite terrestre, ou lunaire, au moment où les deux planètes forment avec le Soleil un angle de 45 degré, et ce, quelle que soit la solution choisie, à savoir la cryotechnique chimique, le nucléothermique ou le nucléoélectrique lourd de type "groupe propulseur électroréactif’’ envisagé un moment par les Soviétiques. Dans le cas de la solution chimique cryotechnique, qui implique des réservoirs énormes et encombrants pénalisant la charge utile, si notre vaisseau est doté de la vitesse exigée, il peut alors se mettre en position d'intersection de l'orbite martienne 260 jours plus tard. Mais cette opportunité ne se reproduit que tous les 25 à 26 mois ... Pour le retour, il faut attendre également que les positions respectives de la Terre et de Mars soient favorables pour un voyage à énergie minimum, de 250 à 300 jours. et cette situation ne se reproduit que tous les 400 jours, ce qui implique une durée totale ce mission de 950 jours pour un équipage de 6 à 7 hommes. Sur la long terme, il apparaît donc déjà qu'il est plus "rentable" économiquement et humainement parlant d'envoyer des astronautes, au moyen d’une stratégie lunaire, pour une occupation permanente de Mars et capable d'une rapide autosuffisance.

Le nucléaire spatial, combiné aux progrès effectués en matière de médecine spatiale dans le domaine des séjours de longue durée, nous offre déjà une solution partielle en permettant de meilleures performances en matière de poussée. Les calculs montrent que le voyage martien, dans la cas d'un départ cislunaire nucléaire permettrait de gagner de 35 à 85 jours par rapport à un voyage nucléaire classique partant d'une orbite terrestre basse: expliquons nous. Il ne faut pas oublier que , dans le cadre de notre de "rupture", nos vaisseaux nécessairement très grands, ayant l'avantage d’être assemblés sur une orbite lunaire, possédant une longueur de 120 à 150 mètres, seront égaiement propulsés par des moteurs nucléaires d’une puissance bien plus élevée que ceux qui étaient envisagés par Von Braun lui-même dans le cadre du plan qu'il proposa à la NASA en 1964. Celui-ci était basé sur l’utilisation par des vaisseaux martiens d'un propulseur Nerva délivré en 8 exemplaires. Les moteurs ultra puissants des vaisseaux géants à architecture lunaire nous offriront, par leur poussée continue pendant une forte proportion lu voyage, une réduction possible à 45 à 50 jours par rapport a une option 215 à 220 jours. Il est évident que de telles performances ne pourront être atteintes qu'au prix d'un effort de Recherche et Développement considérable. Avec quelques périodes de mini gravité, cela représente pour les astronautes un ensemble de contraintes physiques très inférieures à ce qu’ont réussi les astronautes russes Poliakov et Romanenko lors de séjours de longue durée dans l’espace.

Il apparaît clairement que la conquête spatiale est indissociable de la colonisation lunaire et d’un développement massif de la propulsion nucléaire, fission puis fusion. Comme l’a écrit le regretté René Pellat, ex président du CNES et physicien des plasmas dans sa préface au merveilleux livre ‘’les trente premières années du CNES : ‘’Il faudra améliorer l’accès à l’espace par des solutions techniques nouvelles indispensables à la colonisation de la Lune et de Mars. Le jour où l’Humanité aura surmonté techniquement et surtout politiquement ses inquiétudes sur l’emploi de l’énergie nucléaire, d’autres perspectives s’ouvriront.’’

Philippe Jamet
Journaliste Freelance.
NDLR : Les textes sont de la responsabilité de leurs auteurs.

 
   
   
   
   
   
   
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