NSS FRANCE
La Lettre
 

La lettre N°11 - Décembre 2004
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Sommaire
 
 
 
 
 
Cela faisait déjà quelques mois que nous attendions de savoir qui prendra la suite de M. Busquin à la Commission Européenne, c’est désormais chose faite. M. Gunther Verheugen, commissaire allemand à l’Entreprise et à l’Industrie ainsi que vice-président de la Commission Européenne possède donc, depuis début novembre, l’Espace et la Sécurité dans ses compétences. Classiquement, sa première déclaration véritable lors du Conseil de l’Espace du 25 novembre 2004 se contenta de réaffirmer les buts de son prédécesseur à quelques bémols près..
 
     
 
 
 
Le Sénateur démocrate John Kerry plaisait beaucoup aux Européens, il jouait au même jeu qu’eux : pas d’aventures inconnues, pas de risques, il n’avait pas trop d’idées, ni de vision sur une « Spacefaring Civilization ». Il aurait sûrement réalisé une bonne gestion du social, comme son prédécesseur « démocrate », dans les limites imposées par le système néo-libéral. L’avenir spatial se serait résumé à une gouvernance empirique des affaires courantes, un bon vieux retour aux incohérences de l’ère Clinton, comme le mauvais compromis de 1993 sur l’ISS ou le concept CHEAPER faster and better.
 
     
     
 
Peu de gens, et même de prospectivistes, sont suffisamment clairvoyants pour perçevoir les risques et les dangers encourus par nos sociétés, qu'elles soient industrialisées ou en cours de développement, en l'absence de programmes spatiaux ambitieux, terme par lequel je désignerai ici des projets de type industrialisation de la Lune et de Mars et,ëgalement, des astéroïdes dont les ressources sont complémentaires de celles de notre satellite. Depuis la fin du programme Apollo,et malgré de nombreux colloques restés sans suite, coloniser l'espace ne semble plus faire partie des objectifs des décideurs même si la récente démarche du plan Bush constitue un premier démarquage par rapport aux tendances restrictives.
 
     

 
 

Du docteur Queuille à M. Verheugen ?

Cela faisait déjà quelques mois que nous attendions de savoir qui prendra la suite de M. Busquin à la Commission Européenne, c’est désormais chose faite. M. Gunther Verheugen, commissaire allemand à l’Entreprise et à l’Industrie ainsi que vice-président de la Commission Européenne possède donc, depuis début novembre, l’Espace et la Sécurité dans ses compétences. Classiquement, sa première déclaration véritable lors du Conseil de l’Espace du 25 novembre 2004 se contenta de réaffirmer les buts de son prédécesseur à quelques bémols près. Notons, de prime abord, que l’Espace, au même titre que la Sécurité ( ! ) est passé aux mains d’un commissaire, certes plus puissant, mais plus chargé dans son emploi du temps en raison de ses deux principales compétences, c’est-à-dire l’Entreprise et industrie, deux autres secteurs-clés de l’Europe du 21ème siècle !! À nouveau, si nous félicitons M. Verheugen pour sa nomination, et lui souhaitons bonne chance dans sa mission pour les cinq années qui viennent, nous restons sceptiques quant à ces surcharges de compétences et à l’image dont va pâtir, la Sécurité ou l’Espace : Normalement, deux domaines phares, respectivement depuis février 2003 – 21 janvier 2004 et le 11 septembre 2001, sont relégués au second rang d’un commissaire overbooké. Il faut, selon M. Verheugen, insister sur l’aspect utilitariste de l’Espace, ‘’servir les besoins dans les domaines du transport, de la Défense et de la Sécurité. Nos activités doivent être très concrètes et apporter la preuve qu’elles apportent une valeur directe pour les citoyens européens’’ (Cité in Air et Cosmos N°1961). Tout est dit dans cette première déclaration. Lors de sa seconde déclaration intitulée ‘’ M. Gunther Verheugen presents views on Europe and Space’’ disponible sur Internet (Site de la Commission), la politique spatiale habitée n’est pas abordée une seule fois, y compris comme source d’inspiration à long terme. Son action semblerait se concentrer sur le respect de la stratégie de Lisbonne, sur le Recherche, ainsi que la création d’une nouvelle dimension industrielle pour l’Europe. GMES et Galileo sont cités à titre d’exemples frappants de ce qu’il faut faire selon le commissaire. Le respect des prérogatives du White Paper apparaît être aussi une priorité. Outre la langue de bois habituelle sur l’autonomie européenne à acquérir, le besoin d’améliorer notre industrie spatiale, ou la nécessité de faire des services citoyens avec les systèmes spatiaux européens, il considère que l’espace reste une dimension inexploitée qui mérite de l’être au profit des citoyens européens. Le caractère potentiel de la politique spatiale est compris mais de manière trop restreinte à notre goût. Sans juger du ton très libéral donné à la nouvelle Commission, les premières déclarations du Commissaire en charge de l’espace ne nous impressionnent pas du tout. Bien au contraire, nous sommes assez déçus. D’autant plus que le constat de demi-échec pour la stratégie de Lisbonne, révélé par le rapport Wim Wok (commandé en mars 2004 et livré cet automne), ne nous encourage pas à applaudir des déclarations immobilistes concernant la politique spatiale européenne.

Le Conseil de l’espace, annoncé en grandes pompes courant octobre sur le site de l’ESA, nous retenait en haleine depuis lors… Que de déceptions à nouveau. Pour cela, il suffisait de lire la première phrase du journaliste Christian Lardier dans Air et Cosmos (N°1961) qui commençait ainsi : ‘’Vite fait, bien fait’’ … Quel beau résumé ! Quel constat d’échec à nouveau. En effet le premier Conseil de l’Espace a réuni des délégations des 25 Etats (plus trois autres) à Bruxelles sur le sujet de la politique spatiale de notre continent. Très court Conseil de l’Europe, puisque comprenant le temps de faire la photo de circonstance, il dura moins de trois heures ! L’ordre du jour était la prise de contact en vue d’un futur ESP – European Space Program – plus cohérent et progressif, tout en tenant compte des perspectives financières de l’UE sur les 10 prochaines années. Vous pouvez vous en douter, rien de concret n’est sorti de ce Conseil si ce n’est quelques déclarations dont celle du Nouveau Commissaire en charge de l’Espace. Nous apprenons que la politique spatiale de l’Europe sera rassemblée autour du principe de ‘’l’utilisateur’’ et que les activités spatiales doivent apporter la preuve qu’elles aient une ‘’valeur directe’’ pour les citoyens de notre continent… Bien entendu, nous ne pouvons que nous insurger contre cette prise de position minimaliste et dangereuse pour la pérennité des vols habités en Europe. Alors que de l’autre coté de l’Atlantique, le débat Science-Driven Vs Destination-Driven paraît dépassé et que l’Exploration ces six derniers mois semblait prenait de l’importance au sein de l’intelligentsia spatiale européenne, le débat retourne au niveau zéro d’il y a plus de vingt ans. Nous en sommes encore à nous poser des questions !

Il parait évident qu’une réforme structurelle soit nécessaire (notamment pour mieux conjuguer l’action politique à la programmation spatiale - Accord-cadre – ou encore concernant l’élargissement aux 10 nouveaux entrants), nous l’avons soutenue et nous continuerons de le faire, mais au point de se questionner sur la valeur des apports de l’Espace, c’est un grand pas en arrière. Peut-être est-ce le problème avec un Commissaire surbooké et généraliste qui, semble-t-il, connaît assez mal le dossier ? Dans ce cas, à l’ESA de profiter de la situation et de faire jouer ses relations et son influence acquises ces dernières années pour asseoir une rhétorique stable autour du débat de la politique spatiale européenne ! À la suite de ce Conseil M. Gunther Verheugen a fait savoir que le niveau des ressources dédiées à l’Espace est à relever mais que ‘’l’investissement supplémentaire d’un Milliard d’Euros demandé par M. Busquin n’est pas réaliste aujourd’hui et qu’il n’était pas envisagé dans les perspectives financières de la Commission’’. Certes, la politique est aussi l’art du compromis, mais nous sommes ici face à un immobilisme affiché, et pour ne pas dire, suicidaire menée par la Commission – digne de notre bon docteur Queuille sous la IVème République - Les défis politiques et le potentiel d’activité considérable de l’Espace, reconnue par les experts, y compris les économistes, doivent être pris en compte si l’on veut bâtir l’Europe du 21eme siècle. Nous nous sommes déjà exprimés sur ce sujet et nous ne reviendrons pas ici sur ce qu’il convient de faire.

Considérations réalistes et avenir brillant ?

Simultanément, nous apprenons, début novembre 2004 que l’ESA semble rencontrer des difficultés financières puisqu’il faudrait économiser 1,37 milliard d’Euros en 2005-2006 et que le programme spatial Européen (ESP déjà évoqué) devra répondre aux demandes des politiques sectorielles. Aubaine pour certains, déception pour d’autres. Dans cet article d’Air et Cosmos N°1958, il n’est pas abordé le problème de l’Espace habité si ce n’est à travers l’une des raisons identifiées de la situation financière actuelle ; comme les programmes préparatoires qui auraient progressé positivement vis-à-vis de l’agenda 2007. Aurora est ainsi cité comme un éventuel fauteur de trouble et M. Verheugen ne manquera pas de ‘’remettre de l’ordre’’ dans les comptes de l’ESA… Dans le même temps, M. Dordain, DG de l’ESA, se félicite de l’évolution sectorielle des programmes spatiaux. La demande de tels ou tels secteurs guiderait ainsi nos programmes européens, ce qui est dans la droite ligne logique de ce qu’annonçait, dans le même temps, M. Verheugen. Si la NSS France comprend que Galileo, GMES, les satellites de télécoms ou de météorologies, ou de Défense puissent être intégrés à un secteur précis de l’UE, nous ne pouvons pas situer la R&D ‘’qui fait plaisir aux ingénieurs’’ (dénommé ainsi par M. Dordain dans A&C ou dans Aerospace America de Septembre 2004, en parlant d’Hermès !), et qui est nécessaire pour l’avenir du secteur spatiale – tout autant que la recherche fondamentale - ou mieux, où situer les vols habités en Europe ? Sous le budget de l’industrie ? Des transports ? De la Jeunesse ? Du Sport ??! Cela reviendrait à dire que la recherche fondamentale non rentable et publique doit être supprimée au profit d’une recherche libérale, privée et concentrée sur le profit maximum et immédiat…. Le débat sur la recherche, ce printemps dernier, nous a fait dire le contraire : il fallait trouver une rentabilité juste et des débouchés équitables mais que le secteur devait aussi, pour garder son intégrité et perdurer, s’engager dans la recherche fondamentale, dure, et non rentable dont seuls des labos publics pouvaient en assurer le financement. Alors que nous apprenons que les Russes s’engagent, timidement mais en avance, dans Klipper, et que le FLPP est en pleine gestation (respectivement Air et Cosmos N°1962 et N°1959), l’Europe se pose toujours des questions existentielles sur son avenir habité dans l’Espace. Concernant Klipper, il est impressionnant de comparer le projet présenté fin novembre par RKK Energia à Moscou avec le savoir-faire acquis par l’ESA, le CNES, ou la DLR sur Hermès entre 1984 et 1993. Nous l’avons déjà affirmé, mais prendre part au projet et devenir partenaire principal avec les Russes dans ce genre de programme serait plus avisé que de s’engager dans la voie Soyouz à Kourou. Un engagement concret européen sur Klipper serait véritablement digne de la coopération intelligente, équitable et surtout innovante pour les deux parties. Klipper avec l’ESA, ce n’est pas seulement l’affaire d’hypothétiques gros sous, c’est aussi un partenariat sur le long terme tant du point de vue stratégique que politique. Quant à ‘’l’avenir brillant’’ dépeint dans l’article, toujours, d’Air et Cosmos N° 1959, par M. Daniel Sacotte, il ne concerne que les Russes et les Américains (quoi qu’il y aurait à en redire). L’Europe reste toujours liée à ces deux superpuissances spatiales et fera voler Roberto Vittori courant janvier 2005 pour n’espérer faire voler Thomas Reiter (longue durée) pas avant l’automne prochain. M. Daniel Sacotte vient d’être nommé directeur des vols habités et de la microgravité à l’ESA ainsi qu’en charge de l’Exploration, nous tenons à le féliciter à lui souhaiter bonne chance dans sa mission en espérant, qu’en tant qu’ancien d’Hermès, il nous réservera de larges et heureuses surprises pour la suite ! Hermès est un lourd héritage mais si prestigieux et surtout emprunt de symbolique forte...

Néanmoins, il faut savoir faire amende honorable en ce qui concerne les bonnes nouvelles et l’entrefilet concernant le ‘’plaidoyer pour les vols habités’’ dans Air et Cosmos N°1959 – page 67 – est des plus remarquables. Président de l’APAIS – Association des PMEs Spatiales italiennes – Ernesto Vallerani semble regretter l’élan des années 80 et début 90s concernant Colombus ou feu Hermès, d’autant plus que l’industrie italienne était profondément impliquée dans le premier programme cité dans ses versions initiales (ainsi que dans l’ISS de nos jours). Enfin, il comprend et plaide pour l’espace habité comme un ‘’défi à long terme (que les politiques spatiales habitées pouvaient générer) et pour la perspective potentielle qu’elles allaient ouvrir’’ (…) ‘’à l’Europe un rôle de leader dans un avenir lointain’’. Voici donc la raison pour laquelle nous avons monté cette association et la voir écrite en pleine page d’Air et Cosmos à coté de l’avenir brillant des vols habités selon M. Sacotte avec ses trois vols sur les 3 prochaines années… Nous félicitons M. Vallerani pour cette initiative, puisque nous sommes ici à la frontière de la micro-économie (PME italienne), de la politique (les capacités européennes et les défis à relever) ainsi que la macroéconomie (effet d’entraînement des investissements faits dans le secteur spatial). C’est une très belle déclaration qui remet en cause les buts définis par M. Verheugen, ne voyant qu’une perspective dite Use-driven dans la politique spatiale européenne.

Vers une Europe politique.

A ce propos, il faut finir sur des considérations plus politiques concernant l’Union Européenne. Nous avons appuyé la stratégie de Lisbonne dans son principe, soutenu le traité constitutionnel car dans le fond, il fera progresser les rouages politiques des institutions communautaires, il faut néanmoins prendre en compte les réalités économiques, scientifiques et politiques à la veille de 2005 en UE. Il est évident qu’il va falloir passer de la théorie à la pratique pour un jour mettre en œuvre un ambitieux programme spatial européen. Ce passage que nous réclamons depuis déjà trois ans, doit être accéléré et provoqué le plus rapidement possible afin de garantir à l’Europe la place digne qu’elle entend se faire au sein du concert des Nations. Car si nous nous définissons actuellement face aux Etats-Unis, retenons que les puissances économiques montantes se situent en Asie et en Inde. Alors que partout, concernant de très nombreux domaines (y compris la téléphonie mobile ! Pourtant pré-carré des Nokia, Siemens ou Ericsson), l’Europe recule face à l’inventivité chinoise, coréenne ou japonaise, notre continent plie lentement face à l’effort de recherches militaro-industrielles américaines. Il est temps d’agir et la Constitution, malgré certains défauts, peut être un outil utile afin de remédier à ces maux chroniques dont souffre l’Europe depuis quelques temps. Un programme spatial habité pour l’Europe doit être la composante essentielle d’un effort de R&D en faveur de la Science, de la Recherche et surtout de l’Industrie innovante européenne ! Projet politique à part entière, puisque composé de multiple facettes publiques, communautaires et politiques, le secteur spatial européen doit être placé au cœur de l’Europe innovante de demain pour une économie équitable entre les membres de l’UE et de la connaissance scientifique et industrielle. Cette politique spatiale voulue est malléable et peut s’adapter à différentes situations puisqu’elle est, elle-même, multidisciplinaire et entrecroisée entre ces propres domaines.

La lecture du Monde du 23 Novembre 2004, pages économiques, nous laisse, hélas, entrevoir les perspectives et les missions encore à accomplir en la matière. Intitulé ‘’L’Europe, entre sauve-qui-peut et riposte’’, le dossier du Monde relève quelques solutions et constats sur la politique de Recherche et industrielle menée notamment sous la commission de M. Busquin. Avant tout, il faut noter le constat de demi-échec pour la Stratégie de Lisbonne, avec la parution du rapport Wim Wok, chargé par la Commission de faire le point sur la Stratégie en question. Les réponses sont sans appels : le tableau d’ensemble est très mitigé puisque la création nette d’emploi s’est ralentie et que le taux d’emploi prévu pour 2010 (70%) ne sera pas atteint. En ce qui concerne la R&D, le rapport note que seul deux pays y consacrent plus de 3% de leur PIB. Outre ce rapport mitigé sur l’état et l’avenir de la R&D européenne notamment, une série d’article tentaient de dépeindre la situation européenne. L’élargissement fut aussi de nombreuses fois cité comme un obstacle à court terme pour l’innovation en Europe et la conduite des affaires au sein de l’UE. Le décalage avec les USA semble aussi s’accentuer en Europe car l’investissement consenti pour la Recherche, donc indirectement, on peut en déduire pour l’Espace, n’est pas assez suffisant pour remplir les buts de Lisbonne. Une des solutions apportée par Patrick Artus, économiste en chef chez Ixis-CIB est assez simple : ‘’Il faut stimuler l’industrie par des commandes publiques’’. D’inspiration Keynésienne, le discours tenu, traditionnel, mérite notre attention et peut se transposer pour le secteur spatial - Nous pouvons envoyer l’article scanné par email aux personnes intéressées - L’histoire nous confirme sa vision de l’Economie en rappelant les succès militaires du programme missiles US des années 50s et 60s ainsi que le programme Apollo, Gemini, ou Mercury (STS dans une moindre mesure). Enfin dans ce même dossier, notons ce haut fonctionnaire européen qui rappelle ‘’qu’à 15, la capacité décisionnelle économique de l’Europe était faible. A 25, elle est nulle’’. La clé de voûte pour l’opérabilité de l’ensemble communautaire tient donc au politique. Le problème est donc bien politique et non structurel, intellectuel ou numérique. C’est avant tout une affaire de volonté et de politique

En dernier lieu, dans un article sur l’Europe spatiale militaire dans Air et Cosmos daté du 17 décembre 2004 (N°1963), François Auque, président d’EADS Space, analyse la situation de la façon suivante : ‘’L’Europe est un petit acteur dans lequel la France est prépondérante et joue un effet d’entraînement mais avec des moyens extrêmement limités. (…) Le problème, c’est que, au-delà, les démonstrateurs doivent devenir des programmes européens. Un démonstrateur peut coûter 100 M Euros, mais pour que ce soit véritablement efficace, il faut le transformer en un programme d’un milliard d’Euros ou plus. Il faudra alors que les autres pays suivent. Comment faire provoquer cet effet d’entraînement alors que les outils pour gérer des programmes spatiaux militaires européens n’existent pas vraiment aujourd’hui ? (…) L’enjeu est de savoir si l’on va pouvoir mettre en œuvre ces moyens en dégageant ces masses budgétaires et en retrouvant les outils de structuration des programmes à plusieurs pays. Si l’on ne franchissait pas ce pas, l’industrie spatiale européenne en serait extraordinairement affaiblie. Car, la croissance ne viendra pas des marchés institutionnels civils et des marchés commerciaux. La seule possibilité de croissance qui soit cohérente avec des besoins exprimés, c’est le militaire. Le spatial militaire a donc un aspect stratégique et politique pour l’Europe, mais aussi une dimension économique pour assurer l’avenir de l’industrie spatiale européenne’’. Au-delà du fait que cette longue citation concerne le spatial militaire, les problèmes structurels inhérents au domaine et que l’auteur emphase beaucoup (trop – à notre goût) sur les perspectives potentielles un peu trop mirifiques du secteur nommé, il est évident que l’Europe se construira aussi avec une politique de défense commune et que le spatial militaire apportera grandement en terme d’applications pratiques. Mais c’est ici, un domaine qui ne nous concerne pas directement, pourtant la démarche est comparable. M. Auque assimile très bien la façon d’investir dans des démonstrateurs, puis dans des programmes plus ambitieux pour obtenir ce phénomène d’entraînement économique qui aura immanquablement un impact politique. De plus, il place au cœur du problème (pour le militaire, cela se traduit par le besoin d’une structure efficace) le champ politique. . À notre avis, il peut se tromper dans la dénonciation du marché institutionnel civil comme n’étant pas un vecteur de croissance. En tant qu’industriel, nous percevons très bien où l’auteur veut en venir, mais ce marché apporte une croissance dite indirecte ! Cette dernière ne se traduit pas en rentrée d’argent tous les ans, mais se pose comme un effet de levier économique moins perceptible que des lignes de budgets ou des marges. Ce sera ici le rôle majeur de l’Homme politique : Savoir faire comprendre ce mouvement, pour ensuite l’appliquer au mieux dans les circonstances du moment.

Le tableau, à la veille de 2005, n’est pas tout noir, mais il va falloir repartir du début pour recommencer à théoriser une pensée politique propre qui puisse tendre vers une extension des activités de l’homme dans l’espace. L’Europe est aussi à la croisée des chemins, ce qui est d’autant plus réjouissant.

Nicolas Turcat
Président de la NSS France.


All that glitter is not gold !


 

 
 
 
 
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Le Sénateur démocrate John Kerry plaisait beaucoup aux Européens, il jouait au même jeu qu’eux : pas d’aventures inconnues, pas de risques, il n’avait pas trop d’idées, ni de vision sur une « Spacefaring Civilization ». Il aurait sûrement réalisé une bonne gestion du social, comme son prédécesseur « démocrate », dans les limites imposées par le système néo-libéral. L’avenir spatial se serait résumé à une gouvernance empirique des affaires courantes, un bon vieux retour aux incohérences de l’ère Clinton, comme le mauvais compromis de 1993 sur l’ISS ou le concept CHEAPER faster and better.

Le président Bush investit 400 + 200 milliards de dollars par an dans des affaires militaires sans espoirs, sa politique sociale est la continuation de celle à la mode depuis l’ère Reagan avec tous les maux que cela induit. Mais au moins a-t-il proposé cette vision pour l’espace civil américain qui laisse l’opportunité d’un avenir. Il ne fit plus aucune intervention sur ce sujet depuis le discours originel de 14 janvier 2004, le thème de l’espace fut à peine effleuré pendant la campagne électorale, la stratégie de financement est périlleuse, cependant cette initiative est cohérente, réalisable et logique.
Deux points paraissent positifs :

La NASA a obtenu le budget demandé, cela ne veut pas dire que tout est ouvert pour la réalisation des objectifs de la vision, six difficultés demeurent devant l’agence :

  • Celle exprimée par le Congrès, dans le « Joint Explanatory Statement : (NASA excerpts) Conference Report on H.R.4818 Consolidated Apppropriations Act, 2005 » délivré le 19 novembre par la Chambre des Représentants : « … Les membres ont inclus des fonds substantiels pour l’initiative d’exploration spatiale, mais aujourd’hui il n’y a aucune action réelle du Congrès pour approuver l’intitiative. Les membres notent que l’initiative est un défi à très long terme et exigera des dizaines de milliards de dollars dans le cours des prochaines décennies. En tant que telle l’initiative mérite et exige le bénéfice des délibérations du Congrès. A cette fin les membres demandent que les Comités compétents de la Chambre des Représentants et du Sénat agissent pour approuver précisément l’intiative et fournissent autorisations et orientations. Il est indiqué à la NASA de faire parvenir un large ensemble de propositions d’autorisations afin que le 109ième Congrès puisse les prendre en considération. Les membres sont concernés par le fait que les plans actuels de mise en œuvre de la nouvelle vision n’abordent pas correctement les demandes de transport de charges lourdes qui peuvent être nécessaires pour mener à bien l’initiative d’exploration. Un examen complet des plans doit être entrepris avant de s’embarquer pleinement dans l’exécution de l’initiative. Afin d’évaluer les besoins en capacité de transport de charges lourdes, la NASA rendra compte aux Comités d’Appropriation de la Chambre des Représentants et du Sénat, dans les 180 jours à partir de cette loi, de ses estimations et de ses plans pour l’immédiat et le futur. Elle est encouragée à regarder les concepts actuellement développés dans le programme Falcon avec la DARPA, qui pourrait avoir un impact sur la réalisation d’un futur lanceur lourd… ». Le Congrès demande également, à l’agence spatiale de lui fournir 7 rapports en plus de celui évoqué ci-dessus. Ils concernent entre autres, le véhicule d’exploration habité (CEV), la maintenance de Hubble, les détails des phases nécessaires pour terminer la construction de la station. Cela signifie que le Congrès commence à s’intéresser à l’initiative présidentielle, les.conséquences peuvent être positives ou négatives avec des interférences fâcheuses et un micro-management du projet comme dans le cas de l’ISS.
  • Celle que nous nommons « l’aberration » de la mission robotique pour la réparation de Hubble, cependant le rapport du National Research Council semble avoir remis les choses à leur place dans ce secteur.
  • Celle entraînée par la remise en opération des navettes avec ces « multiples précautions » s’élevant pour le moment à 800 millions de dollars, mais d’où viendra l’argent ? bien que dans ce cas le Congrès semble disposé à faciliter les choses.
  • Celle induite par les programmes « gadgets » que certains sénateurs, pour des raisons personnelles et locales souhaitent voir se poursuivre.
  • Celle occasionnée par un déficit budgétaire croissant qui imposerait une réduction générale des dépenses dans les années à venir, dont celles de la NASA, ce qui paralyserait le programme du président. Cette hypothèse, fut récemment montée en épingle par les conseillers en matière spatiale de l’ex candidat John Kerry.
  • Enfin celle liée à l’arrivée d’un nouvel administrateur : pourquoi ce départ inopiné de Sean O’Keefe ? Quelle sera la mission du prochain dirigeant de l’agence ? Comment la menera-t-il ?


Le second point positif est le dynamisme engendré par la vision tant du côté de l’Agence que celui des entrepreneurs. La NASA, visiblement, avec des réunions de travail comme celle du 18 novembre à Washington veut aller de l’avant. Si l’objectif fondamental de la Vision est de faire progresser les intérêts américains scientifiques, de sécurité et économiques au moyen d’un programme d’exploration spatiale robuste, les 15 premières pages du rapport « Human Exploration Objectives, Strategy and Architecture » placé sur Internet à la suite de cette rencontre, laissent paraître que l’on s’oriente vers une voie plausible quant aux prémisses d’une civilisation de l’espace.

Des Européens, avec d’autres, participaient à cette assemblée, les vagues échos que nous pûmes en recueillir de ce côté ci de l’Atlantique semblent, hélas comme bien souvent se résumer à des propos de ‘blasés’. Au delà de ce comportement désabusé, pour pouvoir dialoguer d’égal à égal, et ne pas se battre pour les miettes, il faudrait que nous ayons une envie, une dynamique et un enthousiasme pour la création d’un véritable avenir. Les problèmes de l’Europe ne sont pas dans des manques de moyens intellectuels, humains, financiers ou techniques ; mais dans le choix, tout du moins dans le secteur aérospatial depuis 1970, d’une tactique visant tout d’abord à l’analyse des réalisations et des résultats observés ailleurs, puis après avoir cerné les retours essentiellement commerciaux, à la création d’un outil simple, sans risque, donc à coûts moindres afin de traiter ces marchés. Ce comportement rend l’Europe parfaitement concurrentiel sur des secteurs déjà exploités par les Américains, mais ne crée aucun véritable nouveau potentiel d’activités, surtout si elle adopte en guise de politique économique un simple ‘laisser-faire’ sur les marchés. Ces derniers, dont le rôle est d’optimiser des échanges concrets, s’avèrent incapables, dans ce mouvement brownien, de faire naître la moindre Nouvelle richesse à long terme puisque par essence elles n’existent pas encore, il n’y a ni offres ni demandes, tout est à créer ! Il est remarquable à propos du ‘Marché’ - alors que certains croient tenir l’unique, le vrai, l’inévitable, l’ultime système économique global - que les Américains, devant un problème jugé important à résoudre, ne se gênent pas pour atténuer ou moduler ses concepts. De plus, l’histoire nous montre qu’en d’autres temps de mondialisation et de progrès intenses (la Belle Epoque), d’autres approches économiques permettaient d’alimenter justement des avancées.

Alors pour la NSS France, envie, dynamisme et enthousiasme ne riment pas par exemple, avec le commentaire lénifiant « Why Europe does Space Differently » de madame Laurence Nardon chercheur à l’ IFRI, dans la revue Space News du 1er novembre 2004. Cela n’a rien à voir non plus avec une participation de 8% à la station internationale et des prétentions énormes par ailleurs. Etendre l’option de ‘Soyouz à Kourou’ à d’hypothétiques lancements humains alors que l’Europe n’est pas convaincue du bien-fondé de l’avenir de la présence de l’homme dans l’espace peut sembler logique ; pour nous ce n’est que le refus de vouloir construire un avenir et une forme d’abandon de savoir et de compétences quant à une composante vitale de l’infrastructure spatiale : celle de la mise en orbite, c’est de la sous-traitance ! Quelle tristesse pour nos futurs jeunes ingénieurs ! Même si certains nous présentaient, il y a quelques mois, une panoplie complète de trois lanceurs (Vega, Ariane V et Soyuz) couvrant un éventail de charges et nous assuraient qu’un jour …. FLTP concrétiserait ses promesses, quelle crédibilité ce discours peut-il encore avoir, alors que récemment un politique nous annonçait que la France arrêterait son financement d’Ariane V si cette dernière n’était pas rentable dans cinq ans ! Mais comment cette fusée pourrait-elle le devenir ? Elle fut conçue pour porter Hermès, puis le programme fut abandonné (déjà !), alors on la recycla (plutôt mal), suite à des analyses prédictives ‘bidons’ sur le marché archi-épuisé des télécoms ou des satellites géo ! Si l’on pousse la logique néo-libérale, ce n’est plus Soyouz qu’il faut faire venir à Kourou mais Shenzou ! Le seul retour à attendre d’Ariane V serait, après son amélioration, de servir de locomotive pour construire ou participer, dans un premier temps, à la création d’une véritable infrastructure en orbite basse afin d’étudier sérieusement le milieu spatial, apprendre à y vivre, à y travailler, à explorer et aller plus loin, la rentabilité viendra plus tard lorsque l’infrastructure aura créé son marché. Enfin, le sous-financement d’Aurora, ou la ‘tentation canadienne’ : c’est-à-dire la niche technologique, (le bras télécommandé des navettes) pas trop coûteuse, nous rendant indispensables aux américains - les Européens se verraient très bien dans cette situation avec les sondes scientifiques robotiques – nous éloignent encore plus de l’envie, du dynamisme et de l’enthousiasme nécessaires pour construire un avenir.

Du côté des intellectuels, cela n’est guère mieux, monsieur le professeur Bonnet, directeur de l’Institut International de la Science spatiale, président du COSPAR, une valeur médiatique lorsqu’il s’agit de parler Espace, lors du cinquième Workshop sur la Politique Spatiale Européenne à l’Université Catholique de Louvain, après la énième comparaison entre le budget de la NASA et celui de l’Europe – et nous pourrions nous demander pourquoi diantre l’Europe n’est pas capable d’investir autant que les américains dans ce domaine ?° - déclare qu’être numéro deux dans le domaine des sciences spatiales n’est finalement pas si mal ! Un autre exemple de la pensée empirique éloignant l’Europe de toutes ambitions dans le domaine spatial nous est donné par madame Françoise Héritier, anthropologue, professeur honoraire au Collège de France, chroniqueuse à la revue La Recherche et membre du Comité d’initiative et de proposition. Son papier intitulé « La politique peut appauvrir la science » dans le numéro de novembre conclut ainsi : « … La création du Haut Conseil de la science me semble essentielle. Regroupant des scientifiques et des membres de la société civile, il aidera le gouvernement à définir les grandes orientations de la politique scientifique et veillera à ce que le financement irrigue toutes les disciplines. Cela devrait permettre d’éviter des choix guidés uniquement par des raisons politiques, comme ce fut le cas avec les vols habités, un programme pour lequel le gouvernement a engagé des sommes astronomiques au détriment de la recherche fondamentale. ». En dehors du fait qu’il existe aux Etats-Unis (par exemple avec American Physical Society ou groupe de Robert L. Park de l’Université du Maryland) les mêmes concepts conduisant à la demande de l’institution de Haut Conseil de ‘Sages’ – ceux qui savent ce qui est bon ou mauvais, par rapport au peuple inculte ou aux politiques et aux média, qui en majorité se plient à des impératifs plus primaires – il est curieux de constater que ces « élites » ne condamnent que très rarement les gâchis, les sommes astronomiques, envolées en fumée dans le jeu financier que l’on appelle actuellement l’économie. Nos ‘sages’ sont aussi bien souvent aphones à propos des budget militaires en Europe et à plus fortes raisons aux USA. Contrairement au professeur Héritier, nous pensons que la politique non seulement enrichit mais reste vitale à la science. Le vol habité, ambitieusement mené, nécessite la convergence de multiples disciplines pour réussir, exige l’harmonie des recherches fondamentales et appliquées pour aboutir, force entre autres les limites de la technologie, il demeure donc beaucoup plus avantageux en tant que locomotive de l’évolution et du progrès que le simple financement de quelques secteurs, jugés juteux, de la recherche fondamentale ou encore d’une sonde spatiale automatique. La science ne se résume pas à un outil parmi d’autres à la disposition du secteur privé (au même titre que la délocalisation) afin de faire de l’innovation pour améliorer les bénéfices des fonds de pension. La science ou la compréhension de l’univers, est une réaction de l’homme devant les fatalités, elle présente un avantage supérieur lorsqu’elle autorise une évolution vers le meilleur pour l’humanité. Si sur notre planète règnent le sous-emploi, le chômage, des revenus toujours plus minables, un avenir réduit aux plaisirs de la consommation excités par la médiatisation de la société, des problèmes environnementaux non maîtrisables par refus d’aller de l’avant - sans parler des pays les plus pauvres sombrant dans la guerre basse intensité ou le sida - quel intérêt y aurait il de savoir que Mars recèle un embryon de vie ? Une fois la bulle médiatique de la nouvelle éclatée qu’en resterait-il un mois après ? Au contraire, la création d’un programme spatial humain ambitieux de colonisation méthodique de l’espace, tout en exigeant des moyens - ces derniers existent, mais le choix de leur utilisation est politique - remettrait en route une dynamique scientifique, industrielle et intellectuelle sans commune mesure, ouvrant la voie à une véritable nouvelle sphère d’activités potentielles. Enfin, dernier argument, déshabiller le vol spatial humain au profit de la recherche fondamentale comme le fait madame Héritier ou lui opposer le vol robotique car il serait « plus scientifique et meilleur marché » comme le font d’autres, ne rime à rien. Personne n’a jamais vu les crédits de l’un transférés vers l’autre, et lorsque le sacro-saint déficit budgétaire deviendra encore plus vertigineux ou que les actionnaires l’exigeront, la recherche fondamentale, comme les sondes automatiques « cheaper » seront victimes de la gestion de l’austérité.

Certains, aux Etats-Unis, avec la nouvelle initiative spatiale, ont partiellement perçu le potentiel des activités humaines dans l’espace ; tant que cette option demeure ouverte une sortie de l’impasse sociétale actuelle reste possible, celle-ci est intimement liée à une volonté politique et au choix de concepts économiques capables de soutenir le projet. En Europe, seule une initiative basée sur ce genre de programme industriel et scientifique faisant pleinement participer les hommes et également soutenu par une économie adéquate peut nous assurer un avenir décent. Le document « The Future of Space in Europe » préparé par le Groupe de Travail de la Confédération Européenne des Sociétés Aérospatiales, dirigé par le professeur E. Vallerani va tout à fait dans le sens que nous préconisons. C’est une analyse très bonne des potentialités offertes par l’espace, et les propositions d’une politique spatiale européenne à long terme soutenue par un Groupe Consultatif Technique sont les bienvenues. Cependant, l’auteur des ces lignes se méfiera encore une fois de la capacité des concepts économiques que l’on nous concocte à Bruxelles pour conduire ce genre de grandes ambitions ; certaines déclarations récentes et l’exemple d’Aurora semblent, hélas, confirmer ces difficultés. De plus, ne comptons pas systématiquement, avant d’entreprendre, sur l’internationalisation de telles ambitions ; commençons ! Lorsque l’affaire sera en bonne voie, l’internationalisation se fera d’elle-même !

A.T.

Post-Scriptum.
Le 4 janvier 2005, avant la sortie du rapport de Jean-Louis Beffa, le Président Chirac faisait une déclaration sur la Nouvelle Politique Industrielle que la France espérait mener. Au travers de divers articles, il semble que la stratégie développée pour conduire ce projet paraisse excellente, et cela nous montre qu’une réflexion et des actions sont toujours possibles malgré toutes les doctrines et les déficits. Cependant le bât blesse sur les objectifs proposés ! La voiture propre, la pile à combustible, l’énergie solaire, les usines non polluantes en CO2, les réseaux à haut débit sécurisés, les nouveaux traitements contre les maladies infectieuses ou neurodégénératives, ne nous apparaissent pas cohérents avec l’intitulé de cette initiative politique volontaire ! Ou faut-il circonscrire le terme Industriel aux mots : retours financiers rapides, marchands, écologisme, humanisme médiatique. Au-delà du souvenir de la réaction européenne à IDS avec le programme Eureka dans les années 1980, il nous paraît dommage que les incitations et aides de l’Etat soient ici utilisées pour développer des applications qui le seraient depuis longtemps si une politique économique plus temporisée envers ‘le Marché’ et le court terme avait été suivie. Nous touchons ici aux limites de ces concepts néo-libéraux, qui savent parfaitement optimiser ce que d’autres ont créé, mais s’avèrent incapables de construire un futur avec de véritables nouveaux potentiels d’activités. Aurora, la proposition Vallerani ou un autre programme spatial humain ambitieux couplé avec des projets d’infrastructures terrestres nécessaires soutenues par des concepts économiques adéquats auraient donné à cette politique industrielle une autre ampleur.

 


De prime abord, certains d'entre vous trouveront ces projets séduisants ou utopiques mais la question fort opportune qui vous viendra peut-être à l'esprit sera peut-être celle-ci: quel lien peut-il exister entre le fait de faire ou de ne pas faire certains grands programmes spatiaux et l'évolution interne de nos sociétés ? Peut-être accuserez vous les partisans de ces grands programmes de vouloir entreprendre la conquête de l'espace en vertu de choix ou de désirs purement émotionnels,de négliger le fait de savoir s'il existe réellement des besoins ou des marchés justifiant de tels programes ou encore de sous-estimer la nature et le niveau des technologies qu'ils impliqueraient avec toutes les conséquences que ces technologies induiraient sur la part des budgets globaux consacrés à la recherche-développement. Et nul doute que certains seront tentés de crier haro sur les grands programmes spatiaux à marche forcée sous le prétexte totalement fallacieux qu'une part des budgets de RD consacrés à ceux-ci nuirait au développement d'autres types de recherches, notamment à la recherche fondamentale, en vertu du principe des "vases communiquants" selon lequel le fait de donner priorité à ces grands programmes entrainerait pour conséquence l'érosion ou l'abandon à terme d'autres domaines tout aussi porteurs. C'est cette position qu'ont adopté par le passé des scientifiques comme Thomas Gold et James Van Allen aux USA et, plus récemment les astrophysiciens français Celnikier et Künth.

Si vous raisonnez de cette façon, tout en reconnaissant que cette conquête correspond à certaines nécessités, et que l'espace est devenu "utile", vous n'irez guère au delà d'une analyse totalement linéaire basée sur les aspects techniques et financiers qui caractérisent ce type de program-ne. Vous ne tiendrez pas compte de l'essentiel, à savoir de. l'aspect autocumulatif de croissance et de levier ou d'impulsion qui est la marque d'un grand programme spatial arrbitïeux. Par là-même vous éviterez de vous poser les questions indispensables sur le volume des budgets mis à leur disposition et les politiques économiques et de la science actuellement suivies des deux cecôtés de l'Atlantique depuis le milieu des années soixante-¬dix avec une accélération marquée en faveur exclusive du court terme depuis le milieu des années 80s. Si le volume des activités spatiales a crû considérablement avec l'expansion du marché des satellites de télécommunications, le développement des systèmes d'observation aussi bien civils que militaires, la mise en oeuvre de programmes d'astrophysique et de planétologie, on ne peut pourtant pas encore parler de conquête ou de colonisation de l'espace depuis l'arrêt prématuré du programme Apollo qui avait pourtant induit des recherches pour développements futurs comme LESA et PATHFINDER. Notre propos est de prendre parti, avec arguments, pour cette colonisation en soulignant que la conquête de l'espace ne constitue en aucun cas un espace autonorne par rapport au système économique et industriel dans son ensemble et à la Société dans laquelle ceux-ci interagissent, mais qu'elle se caractérise par un système de levier et de rouages à faire bouger pour que se développent des processus aptes à apporter des réponses à des problèmes terrestres comme, par exemple mais il n'est pas le seul, celui de l'énergie. La conquête de l'espace n'est pas un luxe que seules pourraient se payer quelques groupes de nations industrielles disposant d'une science et d'une technologie avancées pour occuper seulement un certain nombre de créneaux "porteurs" avec quelques avantages et retombées technologies et scientifiques diffusées parcinonieusernent ça et là au niveau d'un certain nombre de laboratoires de recherche ou de quelques industries particulièrement performantes et concernées par les technologies impliquées.

D'ores et déjà vous admettez que l'espace est devenu "utile". Oui, n'ayons pas peur de le dire, ce qui a été réalisé est tout simplement extraordinaire si l'on songe que, seulement il y a un peu plus d'un siècle, il se dégageait un consensus au niveau de la majorité des scientifiques pour affirmer l'impossibilité de voler pour le "plus lourd que l’air".Or un siècle c'est bien peu par rapport à l'Histoire de l'humanité en devenir!

"Utile", l'espace l'est déjà devenu sur le plan purement scientifique des applications:

-sur le plan purement scientifique, l'astrophysique, pour pouvoir progresser, a besoin de s'affranchir des contraintes imposées par l'atmosphère terrestre et toutes les nouvelles branches de l'astrophysique (Gamma, X, UV et une grande partie de l'infrarouge) seraient condamnées â stagner sans les progrès apportés par les techniques spatiales (Par exemple les satellites Chandra, XMM, GRO, Integral, IUE, ISO et d'ici quelques années First). Il pourrait en être de même à plus long terme pour l’astronomie optique, en dépit des progrès incroyables réalisés au moyen de nouvelles technologies pour les télescopes terrestres, qui pourraient être développées sur la Lune: projets Louisa et Ovla. Sur la face cachée de celle-ci, à l'abri des ondes radio naturelles et artificielles de la Terre, il serait possible d'installer des radiotélescopes gigantesques beaucoup plus grands que le fameux radiotélescope d'Arecibo. Toutes ces branches seraient condamnées à stagner sans les progrès apportés par les techniques spatiales. Il en est de même de la planétologie et de la géologie comparées permises grâce à l'astronomie in situ et à des sondes spatiales comme Viking 1 et 2, Voyager 1 et 2, Magellan, Galileo, Mars Pathfinder, Mars Global Surveyor, Mars Odyssey, Spirit et Opportunity, Mars Express, Smart 1 et Cassini-Huygens dont les exploits se déroulent actuellement devant nous et vont nous permettre d'observer une chimie prébiotique étonnante en milieu très froid.

Concernées au même titre sont de nombreuses branches de la physique qui essaient de reproduire au niveau du laboratoire les phénomènes observés à l'échelle du cosrnos: c'est le cas de la physique relativiste,de la physique des particules (sur la Lune des accélérateurs pourraient fonctionner à ciel ouvert), de la physique des plasmas et de la fusion thermonucléaire, de la physique des interactions entre les gaz, les solides -et les rayonnements essentielle pour la compréhension dies mécanismes assurant la formation et la protection des molécules interstellaires, la physique atomoque et moléculaire, la physique de la transmission d'énergie à distance dans l'espace par lasers et micro-ondes, la supraconductivité en milieu lunaire. Sans un essor dans ces domaines fondamentaux notre technologie sera bloquée.

Sur un plan plus utilitaire, notons déjà les nombreux satellites d'applications: satellites de télécommunications en orbite géostationnaire (source d'un marché juteux mais qui n'est pas indéfiniment extensible), satellites de télédétection des ressources terrestres et d'étude ce l'environnement en orbite phasée et héliosynchrone, satellites maritimes et météo, satellites militaires aux implications réelles mais n'ayant qu'aux Etats-Unis un impact significatif et important au niveau des industries. Guy Piqnolet, ex-ingénieur au CNES et partisan enthousiaste de la conquête de l'espace, souligne que ceux-ci ne sont plus seulement des instruments de connaissance mais devenus de véritables outils intégrés dans des processus de production.

Une tendance similaire s'observe au niveau de recherches appliquées et des processus qu'elles induisent, mais selon une optique purement marketing marquée par une grande part d'incertitude dans les domaines des sciences de la vie et des matériaux:on ne parle plus aujourd’hui de ces domaines comme étant le seul secteur susceptible de relayer les télécommunications comme moteur d'un futur développement spatial, mais il est prématuré de déclarer que la fabrication et la production en microgravité n'ont aucun avenir.

Si on essaie d'examiner les retombées déjà permises par les grands programmes spatiaux, il est indéniable que ceux-ci ont permis des progrès considérables et un effet de diffusion certain dans les domaines de l'électronique, de l'informatique et des nouveaux matériaux et nombre de produits nouveaux:

- Déjà nombre d'applications en médecine et en chirurgie sont le résultat de recherches spatiales et du transfert de techniques au départ totalement étrangères à ces deux domaines: coeur artificiel du professeur Montiès, prothèses de hanches, ligaments artificiels pour chevilles et genoux, dents, osselets pour l'oreille interne.

- Remarquons également les applications permises par les nouveaux alliages ou encore les matériaux dits composites à base de carbone et de céramiques et mis au point par l'industrie spatiale en raison de leur légèreté alliée à leur grande résistance et à leur capacité à résister sans grande usure ni déformation à de fortes températures. Le transfert de ces techniques est déjà depuis longtemps en cours en direction de l'aéronautique (possibilités d'obtenir des avions plus résistants et plus légers) et surtout des chemins de fer et de l'industrie automobile où ils semblent promis à un bel avenir: fabrication de disques de freins en carbone, têtes de pistons et même matériaux de base des moteurs. Les voitures qui rouleront demain seront en partie conçues au moyen de techniques venues du transfert à partir des technologies spatiales et nous commençons à le voir sous nos yeux avec cette étonnante course de voitures fonctionnant à l'énergie solaire qui a lieu en Australie depuis quelques années.

Le rappel de ces faits, qui sont tous plus ou moins connus de tous ceux qui s'intéressent à l'évolution des progrès techniques, prouve de façon évidente que la conquête spatiale correspond aux besoins et aux demandes de nos sociétés industrielles sur lesquelles elle peut agir comme un formidable "biais" pour un certain nombre de technologies que nous ne pourrions apprendre à maîtriser sans ce type de programme. Il y a, au niveau du corps social, une certaine reconnaissance du fait que l'espace est devenu utile. Hélas cette notion d'espace utile n'a pas dépassé, au niveau du consensus social, le niveau des différentes orbites circumterrestres, l'espace extraterrestre, c'est à dire la Lune, Mars, les astéroïdes et les planètes extérieures et le Soleil étant jusqu'à présent réservés aux seules recherches fondamentales avec quelques succès brillants comme Galileo ou Cassini Huygens dont la mission se déroule actuellement devant nos yeux.

Toutefois les problèmes posés par l'évolution inquiétante de nos sociétés vers un mode à la fois "dual" et "post-industriel" et les conséquences déjà apparentes induites par cette détestable évolution, jointes aux problèmes catastrophiques d'un Tiers-monde qui, hormis quelques nouveaux pays occupant habilement un certain nombre de créneaux basés souvent sur des industries à faible valeur ajoutée, s'enfonce de plus en plus dans la misère qui empêche notamment de pourvoir à ses indispensables exigences en matière d'énergie, justifient à eux seuls d'étendre cette notion "d'espace utile" au delà du milieu circumterrestre pour envisager les possibilités de colonisation et d'industrialisation de la Lune, puis ultérieurement des astéroïdes, de Mars et du système solaire tout entier.

il serait criminel et insensé de ne pas vouloir le faire pour deux raisons:

-Nombre des problèmes graves que connait le monde actuel ne peuvent trouver aucune solution "acceptable" dans le cadre d'une économie limitée au seul cadre terrestre à moins d’accepter d'exclure sciemment plusieurs milliards d'habitants afin de "sauver" une partie de la population mondiale difficile à évaluer, mais au niveau de vie inévitablement décroissant. Le fameux "développement durable" n'offre aucune réponse crédible à ces problèmes.

-Il y a de toute évidence une convergence totale entre les potentialités offertes par la conquête spatiale, simplement au niveau du système Terre-Lune, et les besoins et les demandes de la société humaine en général. Comme l’a si bien montré Krafft Ehricke, pionnier de la conquête spatiale, dans son ouvrage "L'impératif extraterrestre", il n'y a qu'un moyen de développer une industrie et une économie qui connaissent un taux de croissance élevé pour le bénéfice de tous en évitant les inévitables goulots d'étranglement et les inévitables cassures qui en résulteraient sur nos sociétés: il s'agit de combiner les ressources facilement exploitables de la Lune avec une utilisation massive mais non exclusive du nucléaire (on peut y ajouter le solaire lunaire LPS et le solaire spatial SPS) pour tirer la croissance terrestre et déclencher, sur notre planète et sur les orbites circumterrestres, à partir de l'économie lunaire, un fantastique processus auto cumulatif de croissance qui ne nous ne coûterait presque rien,une fois passé le difficile cap des lourds investissements de départ, et en ayant rendu dans un premier temps l'économie lunaire capable de vivre en semi autarcie sans peser trop longtemps sur l'économie terrestre. Si la stratégie choisie est correcte, on peut en attendre à terme relativement rapide des retombées énormes sur le système de la recherche, de l'éducation et au savoir-faire et par là même sur le système industriel, le système économique et l'emploi qui seraient dynamisés au plus haut point par les facilités offertes par une colonisation lunaire entraînant elle-même une industrialisation massive en orbite terrestre basse en fournissant à celle-ci et à bas prix produits semi-finis et finis pour ses infrastructures en orbite terrestre, produits qu'il serait parfois difficile d'amener à partir de la Terre à un coût acceptable. La combinaison d'une telle stratégie avec des technologies de pointe comme la fusion thermonucléaire, les rayons et les lasers permettrait de mettre en oeuvre rapidement, une fois ces technologies essayées et fiabilisées dans le système Terre-Lune et banalisées, les techniques des moteurs ioniques et nucléaires dans l'espace, des projets rentables de colonisation de la planète Mars puis du système solaire tout entier, ce qui nous amènerait à faire fi des idéologies stupides selon lesquelles "il y aurait des limites à la croissance". Par là même nombre des problèmes qui nous apparaissent insolvables aujourd’hui deviendraient faciles à résoudre par le biais des technologies spatiales mises au service de programmes ambitieux. Refuser cette option, c'est en quelque sorte être malthusien et refuser implicitement de résoudre par ce biais nombre de problèmes graves et inquiétants auxquels aucune solution alternative dans le cadre exclusif d'une économie purement terrestre n'est apte à répondre. Nombre de décideurs sont totalement incapables de comprendre ce fait parce que les études préparatoires à la décision qu'ils emploient sont toutes basées sur des modes de raisonnement linéaires et, même pour nombre de spécialistes des techniques spatiales, la vision qu’ils portent sur leur propre domaine ne dépasse pas le niveau d'un projet et des choix technologiques et financiers que celui-ci implique. Toute autre est l’attitude que nous proposons, et il suffit de regarder l'état du monde pour ne pas hésiter à prendre parti en faveur de programmes spatiaux ambitieux et à se battre pour qu’ils soient mis en oeuvre le plus tôt possible. Par ses répercussions, il est évident que seule la colonisation de l’espace peut répondre à un certain nombre de tendances lourdes qui s'imposent à tout bâtisseur de scénario pour l’avenir du monde dans le cas où ne seraient pas engagés des programmes spatiaux du type de ceux que nous venons de décrire:

- Dégradation accélérée du rapport entre population active et population totale dans les sociétés dites développées à cause d'une compétition féroce qui oblige à privilégier, pour survivre dans le cas de politiques économiques et de la recherche dominantes mais inadéquates, les investissements de rationalisation (qui sont eux-mêmes en filiation technologique avec les premiers) et qui fait également parfois que ces derniers deviennent obsolètes avant même que les dépenses de RD correspondantes aient été totalement amorties; c'est le cas de la micro-informatique.

- Mauvaise répartition entre les besoins et les ressources dans les domaines alimentaire et ceux des matériaux et des minéraux.

- Détérioration ce la biosphère et de l'environnement dans le Tiers-monde avec tous les risques que cela suppose pour toute l'humanité.

- Hypothèse de croissance lente et baisse du niveau de vie quasi-général à l'exception de quelques minorités de privilégiés.

Ces hypothèses sont considérées comme "certaines'' par de nombreuses écoles de pensée ... lesquelles, hélas, ne se sont jusqu'à présent nullement préoccupées de réfléchir aux avantages de la conquête de l'espace !

Cette crise que nous vivons, et qui est aussi une crise morale et culturelle du fait qu'il nous manque une éthique et un grand dessein susceptibles de nous amener à entreprendre les actions correctrices nécessaires pour corriger les détestables évolutions actuelles, a des causes multiples et convergentes, morales, monétaires et financières et même certains comme Mensch aux USA et Freeman en Grande-Bretagne privilégient comme mode d'explication une interprétation de type technologique, fondée sur des cycles plus ou moins longs, qui a des aspects contestables. En vérité, c'est en direction des politiques économiques et des politiques de la science, d'ou toute conception grand dessein est absente, qu’il faut chercher les causes aux problèmes aux problèmes graves qui nous préoccupent. Par exemple le programme américain (qui existait bien dans les cartons de la NASA) fut saboté du fait des options pernicieuses apparues sous l'influence "Great Society" qui caractérisa la présidence Johnson Caractérisées par une absence de vision à long terme et relayées et amplifiées par des idéologies anti-science ou faussement écologiques, ce qui ne signifie pas du tout dans notre esprit que les problèmes relatifs à l'environnement n'existent pas, elles sévissent avec la même force et la même intensité des deux côtés de l'Atlantique. Conséquence de ce fait, dès le début des années 70, le monde occidental entre dans un véritable "âge de fer" des politiques de la science (L'expression est de Jean-Jacques Salomon, fondateur du centre de recherches STS du CNAM), le progrès des connaissances n'apparaissant plus aux yeux des décideurs comme une condition nécessaire de la prospérité économique. Partout on assiste à un tassement regrettable des investissements de recherche-développement et à un retournement des priorités des politiques de la science en faveur de politiques "sectorielles" à court terme et dans le seul but de stimuler la capacité d'innovation des entreprises industrielles.

Ce retournement des priorités se fait au détriment de la recherche fondamentale et plus encore des grands programmes technologiques au nom d'une idéologie avouée selon laquelle ceux-ci ne seraient tout compte fait inspirés que par des considérations stratégiques et de prestige avec finalement peu de retombées sur le secteur civil. Aux USA les programmes spatiaux sont particulièrement touchés : abandon du programme post-Apollo qui aurait pu être le début d'une stratégie à long terme et d'un effet d'entraînement débouchant sur un processus auto cumulatif de croissance, sabotage des programmes de moteurs spatiaux nucléaires Rover et Nerva qui avaient pourtant donné des résultats encourageants, abandon des projets de stations spatiales MORL (Manned Orbital Research Laboratory) et SOC (Space Operation Center), non intégration du programme de navette spatiale dans un véritable processus de colonisation de l'orbite basse avec une déviance de son rôle en faisant jouer à cet engin, avant l'arrivée de la station ISS, le rôle d'une mini station en microgravité et d'un lanceur inadéquat de satellites (selon une procédure aussi irrationnelle que coûteuse), mais davantage optimisée pour la mise à poste de lourdes sondes scientifiques comme Ulysse et Galileo. Tandis que l'Europe met en place sa famille de lanceurs Ariane avec, au début, des objectifs limités à ses propres besoins, on assiste aux USA à un renvoi aux calendres grecques des programmes de débarquement martien, sabotage de grands programmes scientifiques, ce qui explique la "grogne" d'un certain nombre de scientifiques à l'égard du programme navette et du vol habité mais ne saurait le justifier.

Cette idéologie hostile aux grands programmes basée sur l'idée que ceux-ci n'auraient que peu de retombées sur 1a croissance économique est totalement erronée, et si l'on juge sur un temps suffisamment long, on s'aperçoit au contraire qu'un programme comme Apollo, même s'il ne fut pas hélas intégré dans une stratégie spatiale à long terme, a eu des effets dynamisants et d'entraînement sur la croissance américaine. C'une façon générale, et même si les effets de diffusion sont parfois lents, l'analyse des effets des grands programmes spatiaux par la méthode qui leur est la plus appropriée, à savoir "l'analyse par les bénéfices indirects" prouve que ceux-ci constituent un formidable moyen d'impulsion au système industriel et de la recherche, que l'organisation industrielle qu'ils impliquent en faisant travailler de nombreuses entreprises aux frontières de la technologie sur des domaines divers et complémentaires avec la circulation des informations qui en résulte, fait que peu à peu les connaissances acquises grâce à ces grands programmes vont se diffuser au système tout entier: potentiel humain très qualifié avec des retombées de compétences sur les autres secteurs, impulsion au système de formation, nouvelles méthodes d'organisation, exigences de fiabilité et de sécurité qui ont amené à la mise au point de systèmes de plus en plus sûrs dans le domaine des calculateurs, émergence d'une "qualité spatiale" dans de nombreuses industries de pointe et bien d'autres choses encore...

Dès lors, conséquence de ce changement d'idéologie en matière de politique de la science et de la technologie, des deux côtés de l'Atlantique, ce retournement se traduit par des investissements massifs sur -trois grandes voies dont on escompte à tort qu'à elles seules elles pourront nous permettre de sortir de la crise dans laquelle s'enfonce déjà le inonde occidental au début des années 1972-73:

- L'électronique, l'informatique, la bureautique, la télématique, les alliages et cristaux avancés, les nouveaux matériaux qui constitueraient, pour reprendre l'expression de l'historien des techniques Bertrand Gille, le "système technique dominant".

- Les télécommunications, qui ont induit la construction de nombreux satellites, mais dont on sait pourtant que le marché n'est pas indéfiniment extensible à souhait comme le montre la crise actuelle des "satcoms" et la guerre féroce que sa livrent les plus en plus nombreux opérateurs de lancement. Au bout d'un certain temps, et du fait que les satellites de télécommunications sont de plus en plus performants et durent de plus en plus longtemps, il ne restera plus à se partager que le marché des satellites à remplacer: ceci est une justification parmi d'autres de la nécessité de nouveaux moteurs du développement spatial.

-Les technologies issues de la biologie moléculaire et dont on sait qu'elles sont peu porteuses d'emplois comme l'a montré le lucide rapport publié par Burt, Lilly et Holt.

Ces technologies ne sont pas mauvaises par elles-mêmes, au contraire, mais le fait qu'on les développe dans le cadre exclusif d'objectifs à court terme et dans un espace économique global tout compte fait limité aux pays industrialisés et aux pays émergents, laissant de côté pour des raisons exclusives de barrières d'entrée technologiques, financières et socio-organisationnelles un grand nombre de nations en raison de leur faible développement, explique le fait que cet espace économique est désormais devenu trop petit comme "aire de jeu" pour ces technologies performantes. Interagissant également avec la robotique en plein développement sur une économie en décroissance physique, et n'ayant pas de grand programme spatial pour jouer un effet d'entraînement et un rôle pondérateur, elles finissent en tait, au lieu de contribuer à tirer le système, par contribuer à en accélérer les problèmes existants et à amplifier, dans le cadre d'une compétition féroce entre les firmes, la course sans fin aux investissements de rationalisation génératrice d'un chômage catastrophique amplifié par les délocalisations et la mondialisation. Dans ces conditions où l'emploi purement industriel baisse (aux USA les cols blancs représentent près de 70% de la population active), l'on se contente "d'espérer" que ces nouvelles technologies créeront à long terme seulement un besoin de compétences de plus en plus nombreuses dans le secteur des services et dans le tertiaire. Il y a ainsi une réelle désindustrialisation associée à l'espoir plus ou moins réalisé de créer des emplois alternatifs dans les services, c'est-à-dire un transfert d'emplois de l'industrie productive vers des services "improductifs" mais associés à une activité productive ou même totalement découplées des activités productives.

Ceci explique l'émergence des idées relatives à la société dite "postindustrielle" et les thèses sur une "économie de l'information avec de plus en plus de gens pour la traiter et de moins en moins de gens pour la quincaillerie et les matières premières." Cette idée est totalement fausse car le secteur tertiaire, s'il n'est pas lui-même le complément d'une économie en croissance, ne peut, surtout s'il subit lui-même l'impact d'une informatique dû plus en plus performante, absorber totalement un transfert massif de population active venue de l'industrie et cela même si on constate parallèlement une hausse des besoins en matière grise au niveau des laboratoires, de la conception et du marketing. L"exemple des USA est là pour le prouver puisque depuis le milieu des années 70s, 60 % des emplois créés, sans tenir compte de ceux qui ont été détruits en masse dans l'agriculture et l'industrie, sont surtout des emplois peu qualifiés et à faible valeur ajoutée, situation d'autant plus inquiétante qu'il y a déjà plus de 35 millions de pauvres dans ce grand pays où nombre d'infrastructures sont dignes d'un pays du Tiers-monde.

Insidieusement ce mécanisme, qui s'applique aussi hélas à nos sociétés européennes, débouche sur une société coupée en deux par des mécanismes d'exclusion progressifs dus à une généralisation du chômage avec d'un côté, au niveau des emplois, ceux dont le système aura besoin pour assurer sa pérennité et sa survie, et, ceux de l’autre, une masse en perpétuelle augmentation d'individus soumis au travail précaire ou partiel quand ils ne seront pas totalement exclus de la société. A terme le fait de considérer cette évolution comme "inéluctable", ce qui est 1e cas d'un grand nombre de scénarios admis implicitement aujourd’hui, implique l'accélération du processus de crise dans les économies occidentales, une baisse quasi-inévitable du niveau de vie et de la consommation d'énergie par tête liés à une course sans frein vers une hausse de la productivité, l'évolution déjà signalée vers une société duale coupée en deux avec un nombre croissant d'exclus de plus en plus marginalisés et sans espoir, une fragilisation de nos sociétés face aux menaces extérieures .... Et, peut-être aussi grave, une évolution inquiétante vers un mode sournois mais inévitable de déliquescence de nos modes de démocratie parlementaire par dilution progressive en faveur de régimes plus contraignants et plus "musclés" pour maintenir cette société "duale" en l'état. Pour ma part je défie qui que ce soit de pouvoir me démontrer le contraire par des arguments probants.

Or, face à cette inquiétante évolution que nous propose-t-on? La plupart du temps une accélération du "libéralisme", avec une tendance à la dérégulation, à 1a déréglementation et à la privatisation des services publics et une simple logique de la répartition, répartition soit des emplois, soit conséquences socialement inacceptables sur le niveau apparaissent les solutions basées sur le ‘’traitement des coûts salariaux’’ consistant en une baisse volontaire et acceptée des facilités plus grandes en matière de licenciement qui permettraient selon ceux qui défendent ce type de solution de ‘’réduire les délais d'ajustement des effectifs à la production’’ Or certaines études faites pour la France par 1`INSEE montrent de façon catégorique que l'adoption de telles solutions, en supposant qu'un certain nombre de conditions soient remplies (hausse des investissements productifs, légère baisse du niveau de l'Euro, hausse des exportations, absence de mouvements sociaux d'envergure) ne permettrait au mieux que de créer 40000 emplois sur une période de 6 ans. Or nous avons déjà réellement, en dépit des statistiques, 3 millions de chômeurs rien que pour la France ! En quelque sorte défendre de telles solutions c'est se moquer du monde et c'est ce que font aussi bien les gouvernements dits "libéraux" que les gouvernements dits "socialistes". Certains prônent d'accélérer encore le processus de robotisation en espérant , ce qui est tout à fait fallacieux, que les gains de productivité obtenus puissent compenser une réduction significative du temps de travail. Par là même il ne resterait plus, comme solution pour maintenir un niveau ce vie acceptable, qu'une seule alternative, les robots, solution qui, si elle était acceptée et applicable, aboutirait à un génocide lent mais inexorable de notre espèce. Il n'est pas besoin de modèle économétrique compliqué pour comprendre que l'interaction de technologies performantes, jointes à des politiques économiques et de la science et de la technologie à courbe vue et sans grand dessein, s'exerçant dans le cadre d'une économie qui ne croît pas vraiment physiquement et d'un espace économique global limité en dépit de la mondialisation (qui se caractérise surtout par un transfert des sites de production vers des pays à bas salaires), mène à la catastrophe. En clair, à supposer que nos sociétés aveuglées par leur "petitesse" ne soient pas détruites par quelque menaçant danger extérieur, il n'est pas doute qu'elles contiennent déjà en elles-mêmes tous les ingrédients nécessaires à leur propre autodestruction.

Face à cette déplorable évolution, que nous reste-t-il comme solutions ?

-Une politique de grands travaux et d'infrastructures financés par des crédits à long terme et à bas taux d'intérêt.

-Une politique vigoureuse et musclée de développement du Tiers-monde dans les domaines agricole (avec objectif d'auto suffisance alimentaire) et industriel, jointe à un énorme effort d'éducation, afin que les transferts de technologie envers celui-ci soient de véritables transferts et non conne actuellement de simples "transports" qui deviennent souvent parasitaire au détriment de l'économie locale toute entière. Et les technologies spatiales, par certaines des techniques qu'elles induisent (télédétection des ressources terrestres, observation de l'environnement, des forêts, des fleuves et des mers, des terres agricoles) peuvent contribuer au développement du Tiers-monde.

-Une politique ambitieuse en matière spatiale, utilisant et impulsant les recherches sur les technologies de pointe, centrales solaires spatiales SPS et LPS, plasmas,fusion thermonucléaire avec emploi progressif, dès que les technologies seront au point,de l'hélium 3 lunaire, lasers, cultures hydroponiques, pour dans un premier temps conquérir le système Terre-Lune tout entier (en répondant à des besoins terrestres) au moyen de vaisseaux à propulsion cryotechnique, ionique et nucléaire (par exemple les solutions proposées par Stanley Borowski), en utilisant à moindres coûts les énormes ressources minérales de la Lune et des astéroïdes Apollo-Amor, sans aucune importation terrestre que des technologies et des hommes. Un tel plan, que nous soumettons également dans un livre à paraître cette année 20O5, vise à déclencher un développement autonome à moindres frais et, en second temps, en permettant l'apport à bas prix de matières premières et de produits semi-finis et finis aux différentes orbites circumterrestres, de déclencher un processus auto cumulatif de croissance du système économique et industriel du couple Terre-Lune tout entier.

Une fois ces opérations réalisées et les technologies impliquées, fiabilisées et banalisées au niveau du système Terre-Lune, il deviendrait plus facile de s'attaquer à la colonisation de Mars et du système solaire tout entier sans autre importation terrestre que des technologies sophistiquées dont le coût de transport vers les lieux de colonisation serait encore réduit du fait qu'une grande partie pourrait être produite avec un rapport qualité prix avantageux dans des usines situées en orbite lunaire. On peut parier, sans grands risques de se tromper, qu'un programme de colonisation de .Mars, basée sur une stratégie étagée et étalée dans le temps, ne coûterait pas un sou au contribuable. Ne pas vouloir se lancer dans de tels programmes, sous prétexte qu'ils coûteraient trop cher, que nous ne disposons pas pour le moment des technologies qui leur seraient nécessaires, pour être effectués à moindres coûts, est une attitude absurde et injustifiable L’argument selon lequel ils ne correspondent pas pour l'instant à une demande du système est tout à fait fallacieux car il y a une totale convergence entre les potentialités offertes par l'espace et les besoins d'une société industrielle en expansion de raisonnons plus en termes linéaires mais en termes de BESOIN et de PROCESSUS à déclencher. Au dix-neuvième siècle il n'y avait pas de demande pour les chemins de fer, excepté dans la domaine des wagons pour les mines de fer et de charbon, et il n'y en avait pas plus pour l’électricité qu’Edison, en se battant contre les résistances au changement, sut imposer à la ville de New York. Une relecture de l'histoire pour ce qui concerne l'informatique et les télécommunications permettrait d'aboutir à des conclusions voisines. Il n'y a pas de déterminisme autonome du système industriel et de la recherche et de la technologie, et les "grandes ruptures" se produisent souvent parce qu'un petit groupe d'hommes particulièrement prescients et ayant une vue à long terme se battent et réussissent à les imposer. Si certaines générations qui nous ont précédé avaient raisonné avec les mêmes critères de décision qui dominent aujourd’hui, nous n'aurions ni l'aéronautique, ni le nucléaire, ni le TGV.

Nos sociétés ont besoin d'un grand dessein, n'ayons pas peur du changement et soyons particulièrement ambitieux:c'est le devenir de notre espèce qui en dépend. Depuis quelque temps, effet d'annonce aidant, on reparle aux Etats-Unis d'une base lunaire habitée et de voyage habité vers Mars. De notre point il faudra que le président Bush et la Congrès donnent un vigoureux coup de barre en matière de politique économique et de politique de la science pour rendre ce projet crédible:sinon il finira comme la "Space Exploration lnitiative"....laquelle avait été précisément lancée par le père du président actuel !

Philippe Jamet
Journaliste Freelance.

 
 
   
   
   
   
   
   
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