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Astrolab – aspects et exemples de la mission de l'ESA.

Par Nicolas TURCAT - Président de la National Space Society France

Thomas Reiter de l'ESA (Crédit ESA)

Nous avons mis en valeur dans le dernier édito le fait que Thomas Reiter, astronaute de l’ESA, parti pour une mission de plus de 5 mois sur l’ISS, fasse devenir le rêve lié aux vols habités une réalité palpable. L’espace habité et ses intérêts deviennent ici très concrets. C’est aussi la raison de ce présent article. En effet, il s’agit de souligner l’exemplarité du vol de Reiter sur l’ISS à plusieurs titres :

Tout d’abord, Thomas Reiter est le premier astronaute ESA et européen à devenir membre de l’équipage de l’ISS (Expedition Crew 13). Il a donc le titre d’ingénieur de vol n°2 et pourra ainsi prendre en charge un certain nombre de taches vitales pour l’ISS comme le guidage, le contrôle d’environnement ou les systèmes de support-vie. Il sera aussi le premier astronaute de l’ESA à effectuer une sortie extravéhiculaire (EVA) depuis l’ISS. Il sera le premier astronaute européen à faire partie d’un séjour et d’un programme d’expérience de long terme sur l’ISS (nous reviendrons plus loin dans l’article). Des équipements pour des expériences embarquées de l’ESA ou d’autres institutions scientifiques seront ainsi déployés lors de la mission Astrolab. Ses confrères à bord de l’ISS seront le Commandant russe Pavel Vinogradov, l’Américain Jeffrey Williams comme premier ingénieur de vol et lors de sa récupération à la fin de l’année, sur le vol STS 116, l’astronaute européen Christer Fuglesang viendra très temporairement le rejoindre sur la station (2 astronautes ESA à bord de l’ISS : une grande première !).

Il convient donc de détailler un peu les enjeux et les aboutissements de la mission Astrolab en se fondant sur la documentation d’information distribuée par l’ESA à propos de la mission.

Le programme d’expérience de l’ESA :

Les expériences emportées par l’ESA au sein de la station seront donc régies par le programme européen pour les sciences physiques et de la vie (ELIPS). Ce programme est financé par 13 des 17 pays de l’ESA dont la France l’Allemagne ou l’Espagne. ELIPS couvre une large gamme de disciplines scientifiques qui sont transversales aux matières classiques comme la physique, la chimie, la biologie la physiologie, ou la psychologie. La spécificité de ce programme repose sur le fait que ses orientations soient fondées sur la demande des utilisateurs scientifiques et industriels à travers l’Europe et est supervisé par l’European Science Foundation (ESF). La microgravité de l’ISS est alors un élément clé pour mettre en valeur les expériences faites là-haut. L’apesanteur procure un environnement unique pour la recherche scientifique. Même des hypothèses fondées par des prix Nobel, comme les réflexes du mouvements des yeux, ont pu être remis en cause par des vols en apesanteur. C’est ici un rôle premier de la station spatiale internationale : un centre de recherche pour préparer l’avenir de la recherche. On s’en doute un peu, la microgravité n’a jamais été complètement exploitée et quelques soient les raisons, les potentialités de ce milieu reste à étudier

Concernant les sujets de recherche, le programme ELIPS est organisé autour de thèmes clés :

Pour les sciences de la Vie, le programme ELIPS s’est concentré sur les effets de la gravité sur les processus fondamentaux des cellules animales et des plantes. De ces recherches, sortira une meilleure compréhension pour savoir comment évoluent ces cellules et comment elles s’adaptent à leur environnement. Ces résultats pourront être utilisé par des applications médicales et biomédicales comme sur les systèmes immunitaires ou la production alimentaire.

Pour la physiologie humaine, le but est de mieux comprendre des problèmes comme le vieillissement, la santé comme l’ostéoporose, les maladies cardio-vasculaires, respiratoires ou les troubles de l’équilibre. Ces résultats ne consisteront pas seulement en fournissant de nouveaux diagnostics plus précis, mais serviront à préparer les astronautes aux longues missions dans l’espace en vue de l’exploration future.

Pour la physique fondamentale, des thèmes comme les plasmas complexes, les atomes froids, les fines particules liquides ou solides ou les condensés Bose/Einstein, seront examinés. Les résultats de ces expériences peuvent déboucher à de nouvelles théories des processus physiques qui mèneront peut-être à des améliorations quant aux horloges atomiques qui seront utilisées dans les futurs systèmes de navigation.

Pour les sciences des matériaux, l’environnement spatial est utilisé pour mesurer les propriétés thermo physiques des métaux et permettre une précision sans précédent. Les processus de production industrielle pourront ainsi être amélioré et par exemple, les résultats de ces expériences seront utilisés par un programme communautaire européen de 5 ans qui doit trouver des développements pour des moteurs d’avions plus efficace ainsi que des cellules pour l’hydrogène.

Pour la physique des fluides, les résultats de ces expériences pourront être utiles pour l’optimisation des processus de chimie industrielle ou pour optimiser les processus de combustion dans les moteurs de voitures.

Enfin pour le champ de l’exobiologie, la recherche de la vie notamment sur la planète Mars sera étudiée d’un peu plus prés.

Les thèmes de recherches ont été principalement guidés par les applications et les demandes des sciences de la vie et physiques et par le souci de préparer l’exploration spatiale humaine (dixit l’ESA !). Ces expériences impliquent des équipes de recherche européennes dans 14 pays et plus de 138 chercheurs travailleront sur le sujet.

Quelques exemples d’expériences :

Pour aller plus loin, il convient de détailler un peu plus les expériences en cours lors de la mission Astrolab.

Pour la physiologie humaine, le programme CARD, par exemple, a pour but de mesurer les effets de l’augmentation du volume de sang, due à une augmentation de sel, sur la pression sanguine, les battements du cœur ou le système de neuroendocrine. Par exemple, l’équipe en charge de CARD est à majorité danoise sur Terre. On trouve aussi l’expérience Cardiocog 2 reprenant la suite des expériences de Pedro Duque en 2003. Les conséquences de l’apesanteur sur l’appareil cardio-vasculaire, tout comme le stress, les réactions cognitives ou physiologiques des astronautes seront aussi étudiées. L’expérience Chromosome 2 se penchera sur les effets des radiations d’ionisation sur les chromosomes. CULT étudiera les aspects culturels et des façons de diriger des équipes au sein de l’ISS – ce sera sous forme de questionnaires et de questions-réponse avec les équipes du sol. L’expérience Immuno déterminera les changements immunitaires avant et pendant le séjour au sein de l’ISS. L’expérience NOA 1 se penchera sur les effets de l’oxyde nitrique et son rapport avec l’asthme. Un instrument dénommé Platon a été spécialement conçu pour la mission et devra aider à trouver des solutions pour pallier les effets de l’asthme. L’expérience NOA 2 se penchera plus spécifiquement sur les effets des décompressions / compressions lors des EVA sur le système respiratoire.

Cardiocog avec Pedro Duque en 2003 (Crédit ESA)

 

Platon pour NOA (crédit ESA)

Le Pulmonary Function System (PFS) sur Terre en cours de test (Crédit ESA)

Pour la Biologie, le Kubik Incubator va permettre de faire des expériences vite effectuées et remises en conditions rapidement. Chaque Kubik incubator a une centrifugeuse et permet le rangement de 24 expériences dont 6 dans la centrifugeuse. BASE sera une autre expérience qui permettra de savoir comment évoluent les bactéries s’adapte aux différents milieux spatiaux. Une boîte portable à manipulation (Portable glove box) sera lancée avec STS 121 et permettra d’effectuer ces expériences.

2 Kubik Incubator (Crédit ESA)

La Portable Glove Box (Crédit ESA)

Pour la dosimétrie des radiations, soucis majeurs des vols longue durée, ALTCRISS permettra de voir les effets des radiations sur différents matériaux et d‘en étudier plus précisément les effets. Le programme Matroshka 2 a été installé en dehors de la station en 2004 et permet d’étudier les niveaux de radiation lors des EVA des astronautes. Ce programme est à portée internationale d’où la présence de japonais ou d’américains dans l’équipe scientifique.

Pour les technologies de démonstration, on peut compter sur l’Erasmus Recording Binocular (ERB) pour améliorer la représentation 3D de l’ISS en vue de l’entraînement au sol. Il y a aussi le fameux programme Special Event Meal des Français du CNES qui doit fournir aux astronautes lors des occasions spéciales des repas de meilleure qualité dont le fameux foie gras d’oie ….

Les Erasmus Recording Binocular 3D (Crédit ESA)3

Le foie gras d'Oie du CNES

Concernant les programmes d’éducation, pour le supérieur, les programmes CASPER et UTBI. CASPER permet d’expérimenter, tester et évaluer une méthode de management des troubles du sommeil en apesanteur. UTBI concerne à nouveau les radiations. Les expériences ARISS (pour des communications radio) et DVD4 (les applications robotiques liées au bras ERA) sont plus dédiés aux écoles primaires et secondaires. Des sessions de e-Learning seront aussi au programme ainsi qu’une expérience d’émulsion d’huile mené par les astronautes pour des élèves et rediffusés sur la chaîne publique allemande. C’est aussi une façon efficace de rendre utile la station pour les étudiants et enfants en Europe. Nous pensons aussi que l’interactivité entre les milieux étudiants ou collégiens et l’ISS doit être amélioré et c’est à travers ce genre de programme éducatif que les élèves sentiront la réalité de la conquête spatiale.

Un jeune collégien posant une question aux astronautes de l'ISS - Programme ARISS (Crédit ESA)

Le matériel embarqué à bord de l’ISS – quelques exemples concrets :

Un système modulaire de culture européen (European Modular Cultivation System / EMCS) sera emmené avec STS 121 et permettra de faire des expériences biologiques notamment concernant les effets de la gravité sur les cellules des plantes, leurs racines et leurs physiologies. Ces expériences permettront de développer de nouvelles connaissances sur le processus de croissance des plantes et aura des potentiels de faire des avancées industrielles agroalimentaires, comme pour la production alimentaire des astronautes ou sur terre. Ces bénéfices pourront aussi servir dans le cadre des missions habitées à longue durée, comme vers Mars, prévues dans le programme Aurora. L’EMCS consiste principalement en un incubateur à gaz où l’humidité, la composition de l’air, la température, la lumière, ou la lumière pourront êtres contrôlés. L’EMCS possède aussi deux centrifugeuses, des caméras vidéos pour la surveillance et une chambre de culture assez vaste.

Le MELFI (Minus Eighty – Degrees – Laboratory Freezer for the ISS) est une baie à expérience typique qui permet à la Station d’avoir un volume de stockage réfrigéré pour les sciences de la vie ou les échantillons biologiques. Il permettra aussi de ramener les échantillons et les expériences sur terre via le MPLM de la navette spatiale américaine et est qualifié pour une quinzaine de voyage pendant 10 ans. Les expériences CARD et Immuno y seront stocker par exemple. Il faut noter que le système de réfrigération a été le sujet d’une attention particulière et est le fruit d’un développement technologique sans précédent. MELFI, se trouvera dans le laboratoire US Destiny, avant de rejoindre sûrement le laboratoire européen Colombus.

La Boite à gants pour les sciences de microgravité (Microgravity Science Glovebox) fut la première baie lancée par l’ESA sur l’ISS en 2002. On la retrouvera dans une version améliorée et mise à jour. Cette boîte à gant a déjà été utilisée intensément lors des dernières missions (Pedro Duque ou de Winne) y compris lors de la mission précédente (expédition 12).

Le Percutaneous Electrical Muscle Stimulator (PEMS) est un boîtier portatif qui permet de délivrer des stimulations électriques notamment destinées aux muscles non-thorassiques. Ces recherches neuromusculaires permettront de faire avancer le sujet sur Terre. PEMS pourra aussi être utilisé par d’autres instruments (ie. MARES) qui seront présents dans le module Colombus.

Le système de fonction pulmonaire (Pulmonary Function System - PFS) est une machine qui analyse les gaz exhalés des astronautes et permet de délivrer un diagnostic sur l’état de santé de ces derniers. Cette machine pourra procurer des informations quant à la pression sanguine ou le système cardiovasculaire. Le système PFS a été lancé sur STS 114 et à été utilisé avec succès par les expéditions 11 et 12. Le PFS est le résultat d’une collaboration scientifique entre l’ESA et la NASA et sera placé dans le laboratoire Colombus en 2007.

Quelques conclusions :

Nous l’avons bien vu avec tous ces exemples très concrets d’expériences et de matériels embarqués, les astronautes travaillent véritablement pour faire avancer la Recherche fondamentale ou appliquée et permettront sûrement de faire avancer l’industrie européenne sur une voie de l’innovation. L’Homme ne peut pas être remplacé. Il ne veut pas non plus. Evidemment, quelques expériences pourraient être robotisées mais l’utilité de l’Homme au cœur du processus de Recherche est démontrée dans l’efficacité mise en œuvre pour faire comprendre l’utilité même de ces recherches. Les programmes d’éducation, mis en œuvre par l’ESA, ont pour interface essentielle l’astronaute européen. Il serait bien triste de constater qu’une expérience se déroule tout en automatique et rien ne vaut la vue de l’astronaute manipulant les tubes à essais pour comprendre que cela nous est utile à tous ici-bas ! Thomas Reiter est certes un ancien militaire typique mais sa connaissance des vols habités que ce soit à propos d’hermès ou sur Mir ou STS en ont fait le candidat idéal. Il sera temps un jour de ne plus envoyer des pilotes d’essais ou des pilotes de chasse. Il sera temps d’envoyer dans Colombus de véritables scientifiques ou chercheurs de haut niveau mais il faudrait encore que cette station soit finie et opérationnelle.

La station a vocation à devenir un véritable centre de recherche que ce soit pour préparer l’avenir des vols habités en matière scientifique (et on le voit sur cette mission dans les justificatifs des expériences par l’ESA) mais aussi permettre des avancées scientifiques bénéfiques à nos concitoyens. Le vol habité dans la station pourrait presque être classé comme « espace utile ». Plus personne ne remet en doute le fait que l’Espace Européen de la Recherche (EER du programme de Lisbonne – cf. Commission Prodi) soit un avantage partagé pour l’innovation et la recherche européenne ? Pourquoi alors ne pas considérer l’ISS comme un centre de recherche à part entière et l’intégrer au sens niveau que les autres ? Tout du moins dans la rhétorique politique et de communication ! Il faut montrer que l’ISS sert encore à quelque chose. Trop souvent, les partisans des vols habités ont abandonné la Station à son sort d’objet tournoyant au-dessus de la Terre. Trop facilement, la microgravité a été abandonnée après des aléas programmatiques et souvent financiers (nous pensons ici aux évolutions de la station spatiale internationale ou au tournant des années 92/93). La microgravité n’a rien donné car on ne lui a pas donné les moyens d’être efficace. Évidemment la seule justification scientifique des vols habités ne tient pas la route très longtemps mais c’est une justification que l’on oublie souvent trop vite ! « l’espace utile », cher à l’Union européenne, se bâtit quotidiennement aussi en orbite avec des astronautes au sein de l’ISS.

Nicolas TURCAT
Président-fondateur de la National Space Society France

 

 
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