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Une victoire à la Pyrrhus ?

par Nicolas Turcat, Président de la National Space Society France.

Le conseil des pays membres de l’ESA vient de prendre la décision de financer, dans leurs larges globalités, les programmes FLPP, EGAS ainsi que Soyouz à Kourou. La National Space Society France se réjouit de certains de ces financements. En effet, les financements sont de l’ordre de 90% et peuvent donc permettre aux projets de mûrir plus sereinement. La National Space Society France a toujours soutenu la politique, et les projets avancés de l’ESA, nous les critiquons, et continuerons de le faire, afin de faire avancer les choses encore plus loin. Tout est loin d’être parfait, mais nous tendons pour que cela le devienne. Pourtant cette victoire à la Pyrrhus nous cache d’autres réalités qu’il ne faudrait pas oublier. Le triomphalisme facile de l’agence européenne peut nous faire, parfois, perdre les pédales.

La NSS France ne sourira pas en 2006.

Si les nouvelles sont bonnes pour le FLPP ou EGAS – même si ce dernier n’est pas directement inclus dans une politique de vols habités – et elles pourraient être meilleures : nous avons une position différente concernant Soyouz à Kourou. Nous l’avons déjà expliqué dans nos colonnes, début octobre 2003. Ce programme est un leurre qui nous entreverra plus qu’autre chose dans l’avenir. De plus, même si le contrat initial du programme ne stipule pas de Soyouz habité lancé à partir de Kourou, nous pensons qu’il est illusoire de faire de l’espace habité dans une perspective strictement exutoire. La politique qui consiste à dire : faisons de l’espace habité avec n’importe quel moyen, est préjudiciable pour l’avenir des vols habités en Europe. En effet la NSS France ne se réjouira donc pas en 2006 lorsqu’un Soyouz décollera de Guyane. D’un point de vue de politique spatiale habitée européenne, nous aurons alors sérieusement entamé notre crédibilité technologique, notre autonomie stratégique, ainsi que notre capacité industrielle à nous bâtir un destin propre. Soyouz à Kourou dans une perspective de développement de nos activités spatiales au-delà de l’orbite terrestre sera un problème majeur pour la suite même d’un programme ambitieux. Que ce programme soit inscrit dans le cadre volontaire, charismatique et ambitieux d’un programme spatial habité européen ! Pourquoi pas ? Mais ce n’est en aucun cas le fait aujourd’hui ! Il s’agit pour nos dirigeants de saisir une opportunité un peu trop facile et d’essayer de faire main basse sur une technologie vieille de 40 ans. Nos ‘’partenaires russes’’ doivent devenir de véritables partenaires, et non plus des ‘’dealers de technologie on the shelves’’ en bâtissant ensemble un programme cohérent et ambitieux pour et par nos deux entités. Il s’agit de piller les restes de l’Empire soviétique et de profiter au maximum des connaissances de la fédération Russe en matière de spatial. Dans ce cas précis, pourquoi ne pas louer et remettre au goût du jour GLONASS ? Pourquoi ne pas racheter des silos d’ICBM en Ukraine ? Ou mieux racheter des lots de Mig 29, et Sukhoi 27 ?

Pourquoi nous sommes contre Soyouz à Kourou ?

Enfin, et point important, il faut noter qu’en signant Soyouz à Kourou, nous cassons dans le même temps les capacités industrielles européenne. Il est évident que dans 5 ou 10 ans, alors que Soyouz fonctionnera correctement en Guyane ; la tentation sera trop forte de ne pas essayer de lancer un véhicule habité sur une Semiorka de ce même département français. Le 2 février de cette année, la commission réussit à faire voter ce fait auprès du parlement européen. Il est officiellement marqué (art. 14 et 15 de la résolution votée) que le Soyouz sera le lanceur habité de l‘Europe. L’association rappelle qu’une des nombreuses raisons de faire une politique spatiale habitée ambitieuse est la suivante : se bâtir, grâce à son industrie aérospatiale, de nouveaux potentiels d’activités. L’espace habité (et toutes ces composantes, comme la construction ou la mise en disposition d’un lanceur habité) sera synonyme de retombées sur le reste de notre économie plus ou moins indirectement. Nous ne reviendrons pas sur ces dernières, mais l’ouverture d’un nouveau champ d’activité soutenu par un effort politique et économique puissant ne pourra qu’être positif pour notre société. L’industrie européenne se mordra les doigts de ne s’être pas opposée à tant à cette solution. Bâtir un programme spatial habité ambitieux est aussi un programme hautement politique et fédérateur pour l’Union Européenne qui aura des conséquences stratégiques et permettra de faire avancer l’Union vers une meilleure stabilité et crédibilité. Mais le système économique ambiant particulièrement entropique en ce qui concerne les technologies, la recherche ou les sciences, ne permettra pas, alors que l’on disposera d’un lanceur ‘’man-rated’’ sur place, et de développer d’autres projets dans le même temps (FLPP, ou autres études RLV… ; un exemple la coopération EADS/CNES sur le projet Everest). La lucidité sur le Monde nous entourant ne semble pas être l’apanage de certains de nos dirigeants. Le but de nos 15 propositions sur 5 ans, de l’ISE, traitées au sein de la NSS France, ou encore des projets comme Hermes, Festip, Hotol, Sanger, ou encore FLPP étaient aussi de construire et développer l’industrie européenne. Ici, nous ne faisons qu’utiliser un lanceur déjà existant, qui à fait ses preuves, et donc par empirisme, un peu suiveur, nous l’avons adopté comme LA solution à tous les maux de l’Europe spatiale (tant commerciale, satellitaire qu’habité). Que les quelques fanas de l’espace habité, et autres dirigeants d’agences se réjouissent pour 2006 : l’Europe spatiale est bientôt morte. ‘’Nous irons cracher sur sa tombe…’’

Une tentation à laquelle nous avons cédée.

La tentation a été grande d’applaudir ce programme. L’apathie européenne parfois peut paraître incompréhensible aux plus logiques d’entre nous. Le FLPP est un peu financé, mais c’est déjà tant ! EGAS peut nous faire espérer qu’une Ariane V revolera un jour. La situation semble un instant se redresser, pour nous faire retomber dans la dure réalité : pas de lanceurs (légers, moyens ou lourds !), pas de politique spatiale habitée à long terme (Les discussions autour d’Aurora repoussées de jour en jour), pas d’autonomie stratégique, pas de vision concrète à court terme concernant les vols habités (Mars dans 30 ans ! déclaration de l’ESA…). Bref, pas d’ambition spatiale forte …

Un FLPP financé à hauteur de 340 millions d’euros.

Le FLPP, est quant à lui relancé. Bonne chose, mais pour aller où ? Nous avons bien peur que l’on ne puisse plus justifier ce programme (tout comme Ariane V ou même les RLVs) de façon commerciale d’ici peu de temps. Le FLPP gagne sa raison d’être en se dotant d’une politique de développement des activités humaines dans l’espace. Tous ces programmes élaborés (ou dit avancés) s’argumentent grâce à l’idée de spacefaring civilization. Nous pensons qu’il aurait été plus judicieux de préférer de financer une Ariane V habitée, (capsule ou autres versions…) et le FLPP (pour le long terme) que d’approprier plus de 340 millions d’euros à un projet qui de toutes façons nous tirera une balle dans le pied.

L’Europe peut encore devenir une très grande puissance spatiale.

Beaucoup ne voient pas la situation aussi noire que nous en ce moment tels les professionnelles des applications de l’espace ou les opportunistes à tous crins de l’espace habité qui hantent encore parfois nos agences. Nous avons pourtant proposé de nombreuses initiatives (ISE, 15 propositions, Etats-Généraux pour une politique spatiale ambitieuse). Il vous suffit pour cela de relire les Air et Cosmos, ou Aviation Week and Space Technology des années quatre-vingts pour comprendre à quel point nous avons fait des concessions tant d’un point de vue politique que programmatique. L’Europe a les moyens, aujourd’hui, d’être une grande puissance spatiale, c’est une question de volonté et de priorités. Il n’est pas illusoire de penser que l’Europe puisse adopter une position ambitieuse et se doter d’un moyen efficace à court terme d’accéder à l’orbite. Nos programmes spatiaux d’hier, font notre fierté d’aujourd’hui. Nos choix aujourd’hui feront notre honte de demain.

Nous sommes face à de belles déclarations qui risquent de ne pas se concrétiser. Il s’agit pourtant de les soutenir mais de les soumettre à la critique citoyenne la plus aiguë ! Ces choix sont trop importants pour que la décision revienne, seule, à des technocrates et scientifiques divers. La nation européenne doit se permettre de réclamer des comptes pour ces décisions fondamentales pour notre avenir politique. Nous implorons donc les dirigeants de se décider pour une politique réellement forte et vraiment ambitieuse. Il ne s’agit plus de parler mais d’agir. L’Europe parle de Colombus depuis plus de 20 ans, elle a parlé pendant près de 10 ans d’accès autonome habité à l’Espace, le programme Ariane V décidé, il y a un peu moins de 20 ans n’est toujours pas au point. Nous pouvons nous moquer de toutes les puissances spatiales, faire de laconiques déclarations à propos de ces dernières, ou encore rêver qu’un homme politique intervienne dans son agence, il est largement temps de se retrousser les manches et de décider des priorités spatiales pour les européens. En 25 ans, nous n’avons rien accompli, si ce n’est gratter des milliers de planches à dessin, tailler des millions de crayons et consommer quelques centaines de milliers d’Euros pour de beaux dessins que ressortent régulièrement comme étant les nouvelles ambitions européennes.

Il suffit de s’atteler à la tâche, et de constituer un leadership fort au sein d’une agence qui se transforme tous les jours en un bloc de pierre sans forme. L’apathie, le laisser aller, la peur de se lancer dans un monde inconnu nous bride tellement que nous en devenons presque heureux de notre condition. L’ESA depuis plus d’un an nous arrose régulièrement de ces déclarations faussement positives. La méthode coué, hélas, ne prendra pas.

Un optimisme et une ambition déchus ?

M. Dordain, nous relisions, des papiers auxquels vous aviez collaboré à la fin des années 80s et début 90s dans les Congrès IAF. Tous étaient emprunts d’optimiste et proposaient à l’Europe de se lancer dans l’aventure spatiale habitée de plein pied. Que s’est-il passé ? Autre époque et pourtant mêmes buts. Mais le plus dramatique dans cette affaire n’est pas là ou l’on croit : nous sommes persuadés qu’il est encore temps de faire quelque chose. L’ESA peut encore réagir, elle en a les moyens. Certes nous vivons dans l’urgence qui nous rend parfois abrupts, mais n’est-ce pas là-même notre but ?

Il est temps d’aller plus loin : De l’audace, encore de l’audace, toujours de l’audace !

La NSS France soutient donc l’ESA, car nous pensons que c’est la seule structure adéquate pour parachever la destinée d’un citoyen européen dans l’espace par ses propres moyens. L’Union Européenne peut être une composante essentielle d’une future Spacefaring Civilization. Le principe de la République française, énoncé dans l’article 2 de la Constitution de 1958, est la suivante : Gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple. Il s’agit aujourd’hui de mettre en application cette idée en se bâtissant une volonté d’acier pour envoyer un Européen dans l’espace, grâce à des moyens européens dans le cadre de l’Union Européenne. Mais s’il s’agit désormais d’aller plus loin. Nous devons réclamer plus que le minimum requis. Non, Nous n’avons pas pris les bonnes décisions au bon moment ! Ferons-nous rentrer l’Europe dans le XXIe siècle de façon austère et de façon tellement réductrice ? Pensons l’avenir et y investissons ce que l’on a de meilleur. Une politique spatiale forte habitée est encore faisable. Il s’agit de faire preuve d’une volonté implacable et profondément démocratique. L’enjeu est trop important : de l’audace, encore de l’audace et toujours de l’audace !

Nicolas Turcat – Président de la National Space Society France.
nssfrance@hotmail.com

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