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Pourquoi l’ESA doit être soutenue ?

Trop souvent, il fut reproché à la National Space Society France d’être parfois trop critique envers l’agence spatiale européenne et pas assez constructif à son égard. Nous souhaitons, ici, éclairer notre position à son sujet.

Il y a de multiples raisons pour soutenir l’agence, dont voici les deux principales : l’une structurelle et l’autre plus politique et stratégique. L’ESA a en effet déjà connu de nombreux succès dans le passé et continue aujourd’hui avec l’orbiter de Mars Express, les missions habitées sur l’ISS qui furent toutes des succès, ou encore Rosetta. L’ESA a su dans les années 80s construire une politique spatiale variée et ambitieuse ; tous les travaux autour de la future station spatiale internationale, Spacelab, Ariane, Euro-Mir Missions ou encore Hermès en sont de brillants exemples. L’Europe savait conjuguer destin politique et scientifique avec ambitions économiques. Très axée sur une politique scientifique forte, l’ESA a trouvé la force nécessaire pour effectuer des missions habitées dans un contexte pourtant pas très favorable à ce genre de programme – pensons à la période post-86 puis après Hermès en 1992 – Beaucoup de spécialistes considèrent l’ESA comme une des agences spatiales fonctionnant le mieux, c'est-à-dire très créatrice avec peu de moyens. Selon certaines sources, elle semble bien gérée. Rappelons que le financement de l’ESA est 10 fois inférieur à celui de sa sœur américaine. Il est indéniable que l’agence européenne est dotée d’une formidable capacité à accomplir des missions complexes avec très peu de moyens. Il suffit de contempler les dernières missions scientifiques, les programmes martiens ou les futurs missions lunaires. Notons par exemple que l’ESA annonça le programme Aurora, il y a deux ans de façon un peu étonnante mais que de très nombreux travaux pratiques en découlèrent (Cf. site Internet de l’ESTEC). Aurora était alors le seul programme post-ISS au monde à clairement annoncer les ambitions d’une agence spatiale. Ce programme faisait alors référence en matière de détermination programmatique de la part de l’Europe. Et même si Aurora se contentait de n’être que trop souvent des travaux papiers, il y a une volonté clairement énoncée de poursuivre l’exploration du système solaire. Aurora est toujours un programme d’actualité qui ne demande qu’à être boosté, peut être revisité dans certaines phases, voir mieux justifié, mais ce programme doit devenir un fondement de l’existence future de l’agence.
L’ESA fit naître Aurora mais lia également les différents acteurs de l’aérospatiale autour de ce projet. Il est en effet remarquable pour l’ESA d’essayer d’associer des écoles d’ingénieurs ou des universités à travers des programmes scientifiques spatiaux ou encore à Aurora. Il suffit pour cela de voir les événements et conférences crées pour le monde de l’éducation sur le site Internet de l’agence (ici). Il y a une réelle volonté de faire comprendre les travaux de l’ESA – un effort de vulgarisation est effectué régulièrement. Notons que la même politique est appliquée aux liens entre l’ESA et les industriels, c'est-à-dire les retombées directes des programmes spatiaux (spin-offs). Les travaux du COSPAR sont un exemple de ce que peut produire le student participation program de l’agence européenne. Cette dernière sur ce point est une pionnière en Europe (y compris face à d’autres institutions du même ordre) et particulièrement active à lier ses activités aux réalités de l’Union Européenne. Remarquons ici, la pression mise par l’ESA sur la Commission Européenne (et en particulier sur M. Busquin) afin d’inscrire une politique spatiale à l’ordre du jour dans la future Europe politique (White Paper). On ne peut nier non plus que l’ESA n’a pas effectué un rôle de convergence des connaissances scientifiques européennes, pour mieux faire comprendre les enjeux de l’Espace. L’ESA n’est jamais très loin de chaque colloque ou réunion scientifique en Europe. L’agence reflète donc relativement les volontés scientifiques européennes mais peut faire mieux… Il ne s’agit pourtant que des raisons structurelles de notre soutien, au delà, il y a des raisons plus politiques ou stratégiques.

Nous venons de le dire mais il s’agit de le démontrer du point de vue d’un intérêt politique : L’ESA peut paraître comme la convergence des forces vives spatiales européennes. Au-delà de cet aspect formel, il y a une réelle capacité pour l’agence de faire cohabiter des forces parfois antagonistes. Tous les programmes ESA sont marqués par une concurrence féroce entre les industriels européens, l’agence a souvent su maîtriser ces rivalités pour en faire une force créatrice qui permit de lancer des programmes relativement complexes. Si la NSS France, il y a plus d’un an s’était montrée circonspecte au regard du transfert de pouvoir des agences nationales vers l’ESA, nous redoutions alors que l’agence spatiale européenne ne devienne qu’un ‘’grand machin’’ qui ne puisse pas comprendre les réalités politiques du développement des activités de l’Homme dans l’espace. Entre temps, en France et en Europe, un réveil politique semble, peu à peu, se profiler. La meilleure preuve en fut les articles et déclarations des décideurs politiques ces derniers temps (grands programmes de J. Chirac ou de R. Prodi), ou encore les annonces par les commissaires européens d’aller dans cette direction : comme Erkki Liikanen commissaire européen chargé des entreprises qui annonçait dans le quotidien Le Monde que les services ne tireront jamais l’économie et seule une politique industrielle fondée sur l’innovation permettrait cela. Jean-Jacques Dordain ou M. Busquin lors de l’annonce par M. Bush se montrèrent favorables à un revirement politique du débat spatial. L’ESA peut donc devenir cet instrument politique fondamental dans la construction européenne. Il y a deux cent ans, un Etat se fondait, en partie, sur son armée comme instrument de pouvoir et souvent comme prestige national.
En 2004, la situation est tout autre. L’ESA peut devenir cet instrument de prestige, et particulièrement le symbole européen de notre volonté commune à bâtir, ensemble, une entité propre. L’ESA est parfaite pour ce rôle puisqu’elle en est presque déjà consciente. Tout comme la CECA ou l’Euratom (CEEA) furent des acteurs efficaces entre les années 50s et 60s dans les fondements de la Communauté Européenne, l’agence spatiale européenne peut devenir un pilier des projets unificateurs qui fixeront le cadre de la future Europe politique. L’Espace est un enjeu politique et stratégique. Politique car les retombées économiques, industrielles, et scientifiques seront nombreuses pour l’Europe. Stratégique car l’Europe se bâtit, dans le même temps, une identité forte autour de projets convaincants et suffisamment innovants pour transformer l’Union Européenne en une vraie puissance économique, diplomatique, militaire, ou scientifique. L’ESA possède donc tous les atouts pour devenir ce pilier politique : le fond et la forme. Nous avons vu la forme avec les raisons structurelles de notre soutien, le fond tient en quatre mots : proposer une politique spatiale et industrielle ambitieuse. Il s’agit maintenant de s’atteler à la tache pour faire de l’Europe une vraie puissance spatiale.
Enfin fermons le débat sur ce dernier point : l’ESA est la seule structure capable d’accomplir cette politique spatiale ambitieuse. En effet, il n’est pas courant d’entendre sur ce continent des critiques de fond à l’encontre d’une agence spatiale. Aux Etats-Unis, il est courant de voir des critiques concernant le monopole de la conquête spatiale par la NASA. Certains vont même jusqu’à mettre en doute l’utilité même de cette agence au profit de l’industrie privée. Encore une fois, nous pensons que seule une agence peut être le symbole légal de la volonté et de l’ambition d’une entité politique. L’industrie privée n’a pas à répondre de ces actes et décisions face au peuple. Si un industriel européen souhaitait se lancer seul dans le développement d’un véhicule habité, sans que l’ESA ne demande rien, elle le pourrait faire techniquement. Rien ne l’en empêcherait. Cependant seule l’ESA représente l’expression de nos volontés, puisque nous élisons régulièrement un parlementaire européen ; que ce dernier est en relation avec la Commission Européenne, et avec la future Constitution européenne, l’interface Citoyen/Etat européen devra être encore accru. L’agence spatiale européenne est aussi en connexion directe avec la Commission Européenne – l’exécutif de notre entité continentale – L’agence représente donc indirectement (et même si le contrôle de l’un vers l’autre reste à améliorer – Check and Balance Theory) les volontés de l’Europe. Enfin le jour où il sera question de lancer un programme spatial ambitieux, il faudra irrémédiablement passer par l’ESA qui est, et restera, la structure adéquate et seule capable de conjuguer les efforts des forces vives de l’Europe. Nous irons dans l’Espace pour bâtir une politique industrielle européenne ambitieuse et réellement innovante ; l’ESA sera alors l’instrument et le cadre parfait pour exécuter ces volontés politiques. L’ESA est donc vouée à un destin hautement politique dans l’avenir de la construction européenne : c’est la raison fondamentale de notre soutien à l’agence spatiale européenne.

Nous soutenons donc l’ESA mais ne restons pas les bras croisés à contempler béatement les réalisations de cette dernière institution. Nous avons critiqué l’ESA pour essayer de pousser le débat un peu plus loin que le cercle restreint des acteurs de l’espace en France et en Europe. Toutes nos critiques ont été justifiées et argumentées, nous avons parfois dit, un peu abruptement, ce que nous pensions et nous ne croyions pas que ce soit négatif. Notre ton peut quelquefois un peu nuire au discours mais l’apathie occasionnellement montrée par nos institutions est affolante. Nous essayons d’avoir une vraie démarche constructive et évoluons tous les jours dans notre réflexion. L’association fut fondée par des jeunes étudiants qui n’ont rien à voir avec l’Espace, et qui pensent qu’une politique industrielle basée sur un programme spatial habité ambitieux pour l’Europe sera positif et pourra apporter une solution politique aux affres de notre temps. Nous essayons de faire progresser notre pensée afin de rendre le débat plus incisif et surtout plus convainquant. Nous serons donc en perpétuelle évolution. En tant qu’association citoyenne, nous nous permettons donc d’énoncer notre point de vue, n’en déplaise à certains. L’ESA doit donc continuer d’être critiquée, ses décisions ou prises de position toujours soumises à l’examen réfléchi de nos concitoyens : elle en ressortira d’autant plus raffermie. Soyons exigeants avec le seul instrument que nous possédons pour accomplir notre dessein – un développement des activités de l’Homme dans l’Espace – le peuple souverain peut donc exiger le meilleur de cette agence. Enfin nous ne nous prétendons pas être les représentants officiels de la population mais souhaitons simplement que l’agence spatiale européenne fasse vraiment progresser son discours dans les intérêts de la construction européenne. Toutes les espérances de la jeunesse européenne sont entre ses mains.

Des meilleurs nous exigeons le meilleur.

Nicolas Turcat – Président de la National Space Society France – 29/2/4

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