NSS
FRANCE
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Par Nicolas Turcat, Président de la NSS France. Alors que le Conseil de l’ESA au niveau ministériel se réunissait à Berlin les 5 et 6 décembre 2005 pour décider notamment de l’avenir de l’Europe spatiale ces trois prochaine années, les menaces sur l’industrie du même secteur n’ont jamais été aussi présentes. Depuis quelques mois, il est de notoriété publique de dire que ce Conseil n’apportera rien (l’idée du Conseil de transition est alors évoqué) et ne sera qu’un compromis minimum sur la politique spatiale à moyen terme. L’Europe sur ce point fait fausse route. Nous le ne répéterons jamais assez, mais des lignes directrices doivent être trouvées, soutenues politiquem ent et souscrites budgétairement. Que fera t’on d’ici 5 à 10 ans ? C’est la grande question à laquelle nous nous devons de répondre si l’on aspire à quelques ambitions spatiales. Un projet ! Une vision politique ! Pour une fois, nous allons commencer sur une note positive avec l’intervention de M. Roger-Maurice Bonnet (président du Cospar) lors d’un colloque organisé en novembre par l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst) à propos de l’avenir de la politique spatiale européenne que nous ne pouvons que féliciter : ‘’Les décisions stratégiques d’aujourd’hui détermineront le futur dans 20 ans. Aux USA, l’Espace est considéré comme élément politique stratégique. L’Europe devrait tirer la leçon de cet exemple et se doter elle aussi d’un but politique et stratégique ! D’un projet ! Car sans Vision politique, sans le soutien financier nécessaire, sans une communauté scientifique active et présente, sans l’industrie, l’espace européen risque de disparaître et l’Europe ne pourra être que dominée !’’. Outre le caractère évidemment provocateur, mais nécessaire, de la déclaration de M. Bonnet, la situation spatiale européenne est bien résumée et plus que préoccupante. Rappelons que depuis 2003, plus de 4000 emplois ont été supprimés dans le secteur spatial en Europe et la situation, entre 2006 et 2008, risque d’empirer selon le journaliste d’Air et Cosmos M. Lardier (N°2005, 11 novembre 2005, page 37). Une conjoncture minable et un Conseil bien gris Alors que le Conseil de Berlin était censé déboucher sur une révision des perspectives de l’ESA à long terme, il semble se dégager de plus en plus un consensus mou en faveur de programmes déjà engagés. Les incertitudes concernant l’ISS, les vols habités, Clipper ou le FLPP, sont d’autant plus préoccupantes que le Conseil de Berlin ou le Conseil Espace commun de l’ESA et du conseil de compétitivité de l’UE ne semblent rien donner sur ces sujets. En effet la France, l’Allemagne et l’Italie, engluées dans une conjoncture politique négative pour toutes propositions (élections en Italie et en France d’ici un à eux ans, transition et rigueur du gouvernement Merkel en Allemagne) rechignent à s’engager sur la voie des politiques spatiales habitées plus ambitieuses. Nous pensons, en dépit de ce fait, qu’un contexte ne peut faire une politique de manière générale. Aussi, nous comprenons la difficulté à bâtir une Vision commune avec 17 membres mais nous pensons que ce prérequis est fondamental pour la compréhension et le soutien (implement and sustain) d’une politique spatiale européenne plus ambitieuse. A quant de beaux dessins de vols habités européens vers Mars ? A quant des engagements concrets ? L’ISS, et les vols habités. De
plus le problème récurrent depuis 3 ans avec les Américains
à propos de l’ISS et des vols de navettes deviennent véritablement
problématiques. Songez que l’Allemagne consacre 300 millions
d’euros à maintenir sous cocon le module Colombus à
Brême ! Méditez aussi sur le fait que ce même pays
veut que l’on consacre 650 millions aux capacités opérationnelles
liées à la Station spatiale Internationale. Et songez surtout
que cela ne durera pas indéfiniment ! Alors que l’Allemagne
et l’Italie ont finalement et durement accepté la hausse
de 2,5% (proposée par M. Dordain à Berlin) consacrée
aux programmes obligatoires c’est-à-dire scientifiques, et
qui ne permettent même pas de soutenir les projets en cours (tout
juste capable d’enrayer l’inflation naturelle prévue).
La position de la France n’est pas plus envieuse. Nous pouvons lire
dans les récentes déclarations de M. Goulard que ce dernier
dit ne ‘’pas vouloir rester dans l’attente’’
du retour en vol de la navette et ne veut désormais ‘’plus
financer l’opération’’ ! Si nous comprenons
le fait de ne pas rester dans l’attente, nous voyons ici clairement
les ambitions de la France en matière de vols habités se
restreindre de façon drastique et systématique depuis quelques
années (depuis 1992 ?)... Alors que répondant au question
d’Air et Cosmos, l’actuel ministre de la Recherche (Air &
Cosmos N° 2008, 2 décembre 2005, Page 27) répondait
que ‘’la politique française en matière de vols
habités s’appuie sur les programmes de l’ESA, aujourd’hui
en grande partie liés à l’avenir de l’ISS’’.
Le CNES a abandonné ici encore ses ambitions en matière
de vols habités. Remarquons que ce n’est pas plus mal (au
moins, l’honnêteté du propos est à relever),
puisque nous pensons que seul le niveau européen peut désormais
être un levier suffisamment efficace en matière de larges
programmes de R&D. Pourtant la position de la France en matière
de vols habités, symboliquement représentée par M.
Goulard troquant la politique des lanceurs à l’ISS, est une
rupture qui marquera sombrement les prochaines années. Il faudra
pourtant chercher les impulsions dans les pays membres et c’est
ici que le bât blesse notamment pour la la France. Pis, et dans
le même style, ni la France, ni l’Allemagne ne semblaient
vouloir apporter de soutien concret ce lundi 5 décembre au projet
d’avion spatial Clipper. Finalement, l’avion spatial Clipper
proposé (à hauteur de 50 malheureux millions d’euros
pour 3 ans) ne ramassera que 4 voix en sa faveur et est repoussé
pour une éventuelle décision en 2008. Autant dire, que le
projet est mort …Et ce malgré les quelques déclarations
post-traumatiques de cette dernière semaine. Puisque l’intérêt
du projet tenait dans sa rapidité d’exécution afin
de combler le gap technique entre 2010 et 2015. Si nous comprenons le
soutien industriel légitime de l’Europe spatiale à
l’ISS (que nous avons déjà justifié dans ces
colonnes), nous pensons qu’il est désormais temps de faire
des choix et de se fixer des priorités quant aux les vols habités
: et ce au delà du simple docking d’un module. Le mardi 6
décembre, le consensus était acquis pour l’ISS (et
les lanceurs d’un autre coté) et son enveloppe de 650 millions
d’euros de frais jusqu’en 2008 en échange d’un
troc évident entre la résolution ‘’Buy European’’
et le maintien de la ligne budgétaire de l’ISS. Une Union trop frileuse ? À propos des relations entre l’Union européenne et l’ESA, nous soutenons toujours autant un partenariat plus fort entre les deux institutions. Cependant, il faut noter que la focalisation sur GMES et Galileo faite par l’UE est trop réductrice dans sa portée effective. Si ces deux programmes doivent être montés sans aucun doute, le manque d’amplitude et d’engagement plus stratégique de l’UE concernant sa propre politique spatiale pourrait faire perdre toute efficacité politique. En effet, alors que Galileo et son opérabilité semblent repousser de plus en plus vers 2011 et que GMES peine à s’imposer aux vues des ‘’dangereuses’’ perspectives financières de l’UE entre 2007 et 2013, il convient, là aussi, de faire des choix politiques. Notons de façon positive, mais hors programme (puisque financé par le 6ème PCRD), le programme SURE qui permet aux PME des nouveaux Etats membres d’accéder à la recherche scientifique et industrielle sur la Station Spatiale industrielle.
Concernant
la résolution ‘’Buy european’’
proposée par l’ESA, nous ne pouvons qu’être d’accord
et aller dans le sens de cette proposition qui pousse le principe de solidarité
européenne à son paroxysme (sous l’influence des industriels
européens qui se plaignaient des risques de baisse des marchés
institutionnels). Si le principe d’acheter européen est intéressant,
il est néanmoins illusoire de vouloir l’imposer sans une
vision politique sous-tendue qui fixe des buts précis. Occasionnant
un deal improbable entre les Français, Allemands et Italiens entre
la Résolution ‘’d’acheter européen’’
et le maintien de la ligne budgétaire dédiée à
l’ISS à 650 millions d’Euros, le marchandage peut paraître
douteux du simple point de vue. Programmatique. Finalement, nous partageons
l’avis d’acheter européen mais pour aller où
? Pour faire quoi ? Néanmoins, et dans ce cadre, l’implantation
du Soyouz à Kourou nous semble toujours aussi paradoxale, surtout
avec l’affirmation de l’indépendance de l’Europe
spatiale affichée ces derniers jours par nos responsables spatiaux
européens, et ce même dans la perspective où ce lanceur
soit opéré, directement ou pas, par Arianespace ! La NSS
France se place dans une perspective strictement économique au
sens productif du terme : la création de potentiel d’activité
doit primer. L’intégration de ce lanceur ne nous semble toujours
pas efficace pour les intérêts de l’industrie spatiale
européenne. Alors que l’on parle d’aller vers plus
d’autonomie et de soutenir sa propre technologie, nous préférons
vous rassurer : l’acquisition du Soyouz dans le cadre d’éventuels
vols habités à Kourou, ne nous garantira aucune autonomie,
ne soutient en aucun cas notre propre technologie (le Soyouz a presque
40 ans !) et ne permettra aucunes nouvelles perspectives dans les vols
habités. Le ‘’constructeur’’ du
Soyouz restera en Russie, car ce pays entendra avoir de nouvelles ambitions
stratégiques dans les années à venir – Il suffit
de voir la hausse de 160 % du budget spatial qui passe ainsi à
200 millions d’euros. Dans tous les cas, l’affirmation par
Jean-Yves le Gall d’Arianespace de maintenir des mystérieuses
‘’conditions d’exploitation équilibrée’’
entre Ariane 5, Vega et Soyouz débouche sur une solution commerciale
qui ne tient pas compte de l’efficience stratégique d’une
telle politique sur le long terme. Nous pensons qu’il y a là
aussi une contradiction majeure, tout comme il peut y en avoir avec la
coopération dans Clipper. Faire des choix. Nous
pensons qu’il faut aussi s’affranchir de toutes références
programmatiques ou politiques avec les USA. Si ceux-ci doivent rester
des partenaires privilégiés (comme les Russes par ailleurs),
ils ne peuvent pas constituer un frein, voir un blocage net, comme c’est
le cas actuellement. Nous ne pouvons copier ou suivre les Américains
et la NASA indéfiniment. Les dommages en matière de politique
spatiale européenne de ces 30 dernières années peuvent
sembler en partie imputables à la NASA (aléas du Congrès
US vis-à-vis de l’ISS dans les 80s/90s et maintenant le Return
to Flight) mais en réalité, il faut plutôt trouver
les coupables dans notre camp qui n’ont pas su proposer des politiques
programmatiques clés suffisamment fortes et implantées pour
pouvoir faire infléchir le destin des vols habités. Désormais,
il est temps d’être capable de proposer des priorités
suffisamment judicieuses et ambitieuses, s’y tenir les financer,
et mettre d’accord l’Europe sur un programme commun, quitte
à revoir les fondements de l’Europe spatiale. De plus, si
l’implication de l’Union Européenne (grâce au
6ème et 7ème PCRD) est louable, il faut dépasser
la logique ‘’citizens user driven’’ pour
ajouter des compétences à ce programme de R&D, au même
titre qu’ ITER ou tout autre programme technologique. Cet ajout
de compétence pourrait par exemple prendre en charge, partiellement
ou pas, le FLPP ou toutes autres structures spatiales fondamentales à
l’accès autonome à l’orbite. Nicolas
Turcat
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