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De STS à l’ISS … L’Europe démunie ?

Alors que nous apprenions que le prochain vol de la navette spatiale américaine (STS) ne se déroulerait pas avant la fin 2006, ‘’l’assemblage de l’ISS ne pourra reprendre avant 2007’’ : dramatique nouvelle délivrée ce vendredi 16 septembre dans Air et Cosmos N°1997. STS-121 ne devant pas décoller avant fin 2006 en raison du programme Return To Flight (RTF) à revoir, le module Colombus de l’ESA ne décollera peut-être pas avant 2008 … A l’heure actuelle, les discussions ‘’behind the scenes’’’ vont aussi bon train entre l’ESA, la NASA et Roscosmos pour les plans de construction de l’ISS.

Au delà de la gestion calamiteuse du retour en vol du STS américain, le problème de lancement de Colombus est finalement bien de notre ressort. La dépendance européenne pour les vols habités envers les Russes ou les Américains est aujourd’hui, plus que jamais, flagrante. On ne peut que s’en prendre à nous même. Alors que l’APM/MTFF/PPF puis COF Colombus avaient été prévus pour faire partie du trio MTFF/Hermès/Ariane 5 (Cf. l’ESA / LTP de 85 ou 88 ou Europe’s Space Programme de Brian Harvey), symbole de l’autonomie des vols habités européens il fut choisi d’en remettre la responsabilité de lancement aux Américains. Nous nous retrouvons dans la position impossible de négocier notre présence à bord de l’ISS. Il semble pourtant acquis que les Etats-Unis assumeront le lancement du JEM japonais et de Colombus européen. En effet, depuis quelques temps se trouve sur le web le scénario à 16 vols de la NASA en discussion avec l’OMB. Alors que 28 étaient prévus, 16 vols ne seraient plus effectués pour compléter la Station. De très nombreux éléments seraient supprimés dont le module pressurisé du JEM japonais, la centrifugeuse CAM, l’expérience AMS pour l’antimatière, le Science Power Module (SPP) ou une poutre NEP russe. C’est donc bien une Station au rabais que nous promettent les Américains où la science semble sacrifiée au gré des aléas techniques de la NASA. Cependant, il ne tenait qu’aux Européens de se doter d’un moyen de lancement autonome pour leur propre module ou les autres, en cas de coopération avec d’autres nations. Finalement, on peut se demander si les partenaires de l’ISS ont bien compris les leçons autour de ce projet international. Alors que la coopération innovante était louée, que l’esprit ‘’d’amitié des peuples’’ était vanté au sein de l’ISS, ou que l’idée supérieure de bâtir le plus grand projet de l’Humanité en orbite basse était promue ici bas, la Station tombe rapidement aux oubliettes lorsqu’il s’agit de finir ce qui a été commencé. Même s’il est évident que le projet lunaire et martien devaient être mieux mis en avant afin de justifier l’ISS, les propos de Patrick Baudry à son propos (‘’l’ISS est un non-évènement’’ – LCI / 21 septembre 2005) sont excessifs. Nous ne ferons pas l’historique, ni même un rappel des raisons qui poussèrent les Américains, Russes, Japonais ou Européens à investir dans l’ISS, mais il faut rappeler deux ou trois faits à propos de cette Station. Soit, l’ISS ne fait plus rêver (quoi-que j’en rêve encore…), mais le puits gravitationnel dans lequel nous sommes engoncés sur Terre est un vrai problème si l’on veut s’établir dans l’Espace : l’ISS pouvait servir d’étape (un peu à l’image d’un port) pour aller plus loin. Pour cela encore fallait-il entendre la conquête spatiale dans une perspective méthodique et raisonnée. Souvenons nous aussi que la Station Freedom ou Alpha ont été travaillées à une période où la microgravité, les applications industrielles en orbite basse ou la préparation de vols plus lointains étaient au cœur d’une stratégie de développement des activités humaines en orbite basse. Le STS faisait d’ailleurs partie de cette architecture qui devait nous pousser plus loin. L’ISS et le STS n’étaient donc que des étapes. Le vrai problème intervient au moment où les hommes politiques, sous la pression budgétaires du début des années 90, transformèrent ses étapes en une fin en soit ! Or ni l’ISS, ni le STS, ni même le CEV ou le lanceur lourd désormais envisagé ne peuvent être autosuffisants pour leurs justifications ! L’évolution des projets cités ici leur est fatale. Evidemment que le port du Southampton ou de Cherbourg ne fait pas rêver mais lorsque le Titanic y vint en 1912, il enchantait alors les foules qui s’y pressaient. L’ISS (comme le STS) est donc bien une étape ou un moyen mais pas une fin. Nous ne reviendrons pas sur les raisons et nous vous renvoyons à la littérature citée plus bas mais l’ISS est nécessaire et le sera s’il est question un jour de s’établir sur la Lune ou d’aller sérieusement sur Mars. Alors, nous pouvons comprendre les nations réticentes à finir ce projet mais peut-être devait on finir en 28 ou 25 missions de STS et profiter au mieux du savoir faire acquis à bord de la Station ? Peut-être valait-il mieux aussi développer cette station au profit de nations spatiales émergentes afin de leur mettre le pied à l’étrier ? Enfin peut-être fallait-il mieux prendre en Europe une responsabilité plus grande au sein de la Station ? En effet alors que l’on parle sur notre continent d’espace utile, n’est-il pas meilleur exemple que la Station pour rendre cette politique spatiale concrète ? Mais plus qu’un simple plaidoyer pour l’ISS, ce papier entend mettre en exergue les paradoxes de la politique spatiale européenne qui en est réduite à négocier ses vols (cf. Thomas Reiter, quid ?) ou à négocier sa propre présence sur la Station ! Nous pensons que l’Europe s’est égarée avec les Américains dans un piège qui se referme sur nous en ce début d’automne. Alors que nous pensions que l’Europe spatiale avait tiré des leçons de Spacelab ou des négociations houleuses avec les USA entre 1985 et 1992 à propos de la Station Spatiale, on s’aperçoit que notre position est plus fragile que jamais. Dans cette logique, nous demandons à ce que les autorités spatiales européennes en charge de l’ISS soient fermes et fassent leur possible pour maintenir cette structure orbitale intègre, qui est si vitale pour la pérennité des vols habités en Europe. Notons qu’il va falloir renégocier tous les accords avec les Américains dans le cas où l’ESAS devienne la nouvelle politique (au détriment de STS et de l’ISS) ou que l’ESAS s’arrête. Nous pensons enfin que l’étude d’un scénario européen sans Colombus est inadmissible et hors de propos. Nous tenons à être très ferme à ce sujet, nous pensons que renoncer à Colombus reviendrait à renoncer à toutes velléités spatiales pour les 20 prochaines années. Déjà que certains se sentent honteux d’avoir enterrer Hermès en Espagne en 1992, je n’aimerai pas voir la tête de ceux qui enterreront Colombus…après plus de 20 ans d’études !

Alors que la NASA a bénéficié de la clémence politique du Congrès pour remettre sur pied la flotte de STS avec plus d’un milliard de dollars de frais de réparation et d’amélioration, l’agence spatiale US n’a pas su gérer cet été le vol chaotique de STS 114. La faute pratique revient à la NASA qui depuis quelques temps ne sait pas quoi faire avec cette flotte de navette. Peut-être, là aussi, aurait –il fallu expliquer que le vol spatial intègre une dose de dangerosité inhérente à tous véhicules volant à plus de Mach 25 vers l’espace sidéral… Encore une fois faut-il insister sur l’excès médiatique fait autour de la sécurisation du véhicule, le STS a volé et est déjà revenu avec plus d’impacts que pendant le vol STS 114. Tous les astronautes que nous avons rencontrés sont conscients du danger et c’est notamment ce qui en fait de véritables pilotes d’essais. Alors si l’on peut comprendre que dans le cadre d’une amélioration des vols spatiaux vers l’orbite basse, le STS soit le plus ‘’safe’’ possible, il est incompréhensible de mettre cette pression sur la NASA dès qu’un malheureux bout de tuile tombe. La NASA n’a pas su expliquer ce fait, ou même les raisons qui la poussent à renouveler les missions vers la Lune. La communication institutionnelle au sein de l’administration républicaine semble connaître quelques ratés. La situation américaine n’est pas non plus enviable d’autant plus qu’elle n’est pas certaine mais il faudra faire avec si l’on veut composer une coopération constructive.

Ainsi, à la NSS France, nous pensons que des engagements doivent être pris pour Colombus et le maintien de la complétude de l’ISS lors du prochain Conseil ministériel de l’ESA. Nous pensons aussi qu’il serait bon de profiter un peu de la situation pour se faire une place plus large au sein de cette Station Spatiale afin d’occuper une place critique dans le déroulement d’un scénario d’exploration. Nous pourrions envisager d’élargir notre capacité au sein de l’ISS et de détenir les clés de différentes technologies. Nous pourrions aussi, avec ou sans les Russes, nous faire une place de choix dans l’architecture qui nous mènera à l’exploration. Nous pourrions entrevoir par exemple de développer des éléments modulaires scientifiques, technologiques ou même de R&D dans l’espace, supplémentaires pour l’ISS. Ces éléments viendraient en complément de l’architecture existante et pourraient être lancés en coopération sur des lanceurs russes. L’utilisation critique est finalement la clé de l’exploration future. Si les Américains posent le pied sur la Lune en 2018, et s’ils veulent vraiment s’y installer ou aller vers Mars, il leur faudra passer, tôt ou tard, par une infrastructure orbitale complète qui pourrait alors avoir été ‘’trustée’’ par les Russes, les Européens ou même les Chinois. Dans le cas rare où ils décideraient de faire l’impasse sur une station en LEO, le ‘’Test bed’’ technologique (ou ‘’l’Université de l’Espace en orbite’’) que représente l’ISS serait un atout majeur en notre faveur pour des projets encore plus lointains. Ceci n’est qu’une piste de travail mais qui peut servir la cause européenne et redistribuer la donne dans quasiment tous les scénarios de développements spatiaux américains. Nous avons payé le prix fort notre faiblesse politique de croire que nous ne pouvions pas investir dans les vols habités : nous risquons aujourd’hui de presque tout perdre par notre faute. Ainsi si l’on peut reprocher à la NASA sa mauvaise gestion de l’annonce de l’ESAS du déroulement du vol STS 114, si l’on peut reprocher à la NASA d’avoir pêché par orgueil, il ne faut s’en prendre qu’à nous même. Nous devons trouver des solutions et cela rapidement. Alors que le DG de l’ESA étudie ce fameux mais scandaleux scénario sans Colombus (cf. Space News – Europeans weigh Space Station Options par Peter de Selding), nous devons trouver une solution autre que tout supprimer. Nous avons assez fait le dos rond. Nous nous sommes assez reçu de gifles. Nous nous sommes suffisamment laisser aller pour ne pas prendre conscience de l’état réel. Il suffit de comparer les plans d’hier pour voir que rien ou presque n’est prévu pour demain. Il va falloir prendre une décision en faveur de notre industrie spatiale, en faveur de notre communauté scientifique et politiser notre propos pour qu’il devienne enfin crédible. Finalement, il s’agit de savoir si l’on veut continuer ou pas les vols habités ! Nous avons ici assez justifié notre position en faveur d’une politique spatiale européenne habitée plus ambitieuse. En temps de crises, s’ouvrent des opportunités comme jamais, il est temps d’en exploiter les failles : c’est le moment ou jamais, où l’Europe a une carte stratégique à jouer avec l’ISS : PROFITONS EN !

Nicolas Turcat
Président de la NSS France.

Ressources bibliographiques indispensables pour comprendre le sujet :

ALEXANDER Kent, The Space stations, New York, Gallery Books, 1988.
BOND Peter, The continuing story of the International space station, London, Springer Praxis, 2002.
HARLAND David, The story of the space shuttle, Chichester, Springer Praxis, 2004.
HARLAND David & CATCHPOLE John, Creating the ISS, London, Springer Praxis, 2002.
HARVEY Brian, Europe’s Space Programme, To Ariane & Beyond, London, Praxis Springer, 2003.
HEPPENHEIMER T.A, History of the Space Transportation System, Washington DC, Smithsonian Institute Press, 2002.
-Volume 1, The Space shuttle decision, 1965 to 1972.
-Volume 2, Development of the space shuttle, 1972 to 1981.
LAUNIUS R., NASA, A History of the US Civil Space program, Malabar, Krieger Publ. Co., 1994.
LAUNIUS R & McCURDY Howard, Spaceflight and the myth of presidential leadership, Chicago, Press of University of Illinois, 1997.
McCURDY Howard, The Space station decision – incremental politics and technological choice, Baltimore, John Hopkins University Press, 1990.
MESSERSCHMID Ernst & BERTRAND Reinhold, Space stations, systems and utilizations, London, Praxis Springer, 2001.
SIMPSON Theodore R. (dir.), The Space Station, an idea whose time has come, New York City, IEEE Press, 1984.

Ressources internet :

Site web gratuit encyclopédique Wikipedia sur l'ISS : ici (en anglais)

Site web gratuit encyclopédique Wikipedia sur ISS - Dossier iconographique : ici (en anglais)

Site web gratuit encyclopédique Wikipedia sur la Station spatiale Freedom : ici (en anglais)

Site web gratuit encyclopédique Wikipedia sur la navette spatiale STS : ici (en anglais)

Site de la NASA pour l'ISS : ici

Site de l'ESA pour l'ISS : ici

Site d'Energia pour l'ISS : ici

Quelques images :

Concept NASA pour la Station spatiale Freedom en 1984. On note le STS comme complément cohérent à l'ISS. (Crédits NASA)

L'Attached Pressurized Module (APM) européen de Colombus vu en 1985 sur la Station Freedom. Hermès peut s'y docker, tout comme le MTFF. (crédits ESA)

Coupe du COF Colombus Module vu en 2003 par l'ESA attaché à l'ISS. (Crédits ESA)

Science Power Platform russe pour l'ISS - C'était un des rares élement russe à être lancé par le STS américain - En cours de suppression dans le concept ''16 missions pour compléter l'ISS''. (Crédits NASA)

Complexe orbital Japanese Experiment Module (JEM) de la NASDA vu en 2004. L'ELM-PS du dessus est censé être supprimé dans le cadre du nouveau concept ''16 missions pour compléter l'ISS''. (Crédits NASA)

Concept final de l'ISS vu en 2009 par la NASA. De très nombreux élements seront supprimés.(Crédits NASA)

Schéma explicatif des différents élements de la Station Spatiale Internationale. (Crédits ESA)

 
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