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Klipper : le danger de la facilité ou aller plus loin ?

Alors que le salon du Bourget avait été délaissé de façon inadmissible par l’agence spatiale européenne, cette dernière a, semble t-il, préféré aller en Russie cet été se présenter dans ce prometteur pays avec un très grand stand au salon de Moscou. Si le fait de préférer le public russe à l’européen n’a rien de choquant, le problème vient que l’Europe spatiale industrielle risque de se sentir délaissée à terme, et elle aurait raison… ! Enfin, faut-il faire attention au jeu qui est de mise dans ce ménage à trois !

Nous avons toujours soutenu le rapprochement russo-européen dans le domaine avancé des techniques des vols habités. Pourtant il ne doit pas se faire à n’importe quel prix, mais doit être judicieux et avantageux pour tous les partenaires.

Quant à Klipper, nous avons désormais de sérieux doutes concernant la participation effective de l’industrie spatiale européenne et les retombées directes, ou indirectes, qu’elle pourrait y gagner. Les déclarations de M. Frabrizzi (directeur des lanceurs à l’ESA) dans l’Air et Cosmos N°1994 du 26 août 2005 ne sont pas très encourageantes pour la détermination de l’Europe à conduire le projet. Il faudra éviter dans tous les cas que l’Europe se contente d’être un vaste chéquier ou un simple sous-systémier informatique ou électronique. L’Europe vaut beaucoup plus ! Le problème avec le projet Klipper est finalement assez simple : qu’y gagne-t’on ? ‘’Les vols habités coûtent chers’’ et nous le savons mais ce n’est pas perdre un peu de notre autonomie technologique et industrielle de s’associer aveuglement à un projet comme celui-ci ? Nous pourrions nous demander, dans le cas où Klipper serait lancé de Guyane, comment l’industrie spatiale européenne pourra encore proposer des programmes de vols habités ou comment l’ESA pourra de façon autonome se développer dans l’espace. Nous l’avons toujours dit et nous tenons à le répéter ici : la conquête spatiale est aussi un enjeu économique pour demain et les activités induites par un développement au-delà de l’orbite basse seront fondamentales à notre propre économie. Alors que l’on parle de l’Europe de la compétitivité et de relance de la Recherche aux profits de nos industriels et chercheurs, est-ce vraiment une si bonne idée de s’associer sur un projet aussi fondamental ? Or il existe des blocs économiques préexistants qu’il faut savoir préférer à d’autres enjeux. Dans notre cas : c’est l’Europe à 25 qu’il s’agit de faire prévaloir. C’est définitivement un choix politique. Le vrai risque est que Klipper se fasse et qu’EADS ou tout autre industriel européen n’en tirent aucun bénéfice ; et puisque le marché institutionnel semble aller vers un renforcement de son activité, il est d’autant plus judicieux de protéger nos intérêts industriels spatiaux avant quelques autres considérations. La Russie ou l’Ukraine ne sont toujours pas membres de l’ESA, donc les raisons d’une coopération avec la FKA ne peuvent à l’heure actuelle se justifier que sur des technologies précises mais non critiques à l’intégrité du projet. Dans le cas d’une coopération poussée avec les Russes sur Klipper, il faudrait revoir nos modes de coopération avec cette entité politique unique pour en tirer des leçons économiques et stratégiques.
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Il faut aussi tenir compte de la dimension stratégique. Jusqu’à quel point les Russes veulent-ils que nous coopérions ? La Russie de Vladimir Poutine ne semble pas prête à rentrer dans l’Europe communautaire et pour l’ESA, cela risque tout au plus d’être un accord à la canadienne qui se profile à moyen terme. La présence de M. Poutine au pouvoir nous confirme cette importance stratégique russe pour les années à venir. La Russie, qu’on le veuille ou non, est un bloc à lui tout seul qui peut faire des alliances de circonstances mais qui fera toujours prévaloir ses propres intérêts. La CEI est une zone économique dynamique qui se développera dans les prochaines années et elle aurait tort de se priver de tous les bénéfices y compris spatiaux. Enfin notons que la dimension ‘’prestige’’ ou ‘’grandeur’’, quelque soit le nom, est aussi une grande part de motivation dans l’engagement de vastes programmes spatiaux. La situation spatiale en 2005-2006 sera aussi au profit de la CEI de ses Soyouz ou de ses Progress. La Chine, les USA, la Russie, ou même le Brésil ou l’Inde ont compris cette spécificité aux techniques spatiales. Il va falloir en Europe réfléchir sur le sujet au niveau politique : assumons nous ou pas notre dimension de prestige quant à nos programmes européens ? Allons-nous comprendre que ‘’vendre’’ du rêve à la Hermès, à la Colombus, à la Planète Mars, à l’ATV ou à la Ariane (cette dernière est un symbole de réussite méritée et porte parole à elle toute seule de l’Europe spatiale alors qu’historiquement le programme s’est déroulé sans l’Europe politique) est nécessaire dans un monde où les pôles stratégiques vont désormais évolués plus vite et surtout plus techniquement ? Il faut savoir exploiter politiquement toutes nos ressources d’autant que cela servira nos intérêts économiques, technologiques et scientifiques directs !

Pourtant il faudra faire des choix. L’Europe spatiale ne peut pas aller butiner à droite, à gauche des programmes qui lui semblent intéressants : il faut désormais assumer sa propre dimension stratégique. Alors que certains critiques politiques parlent de ‘’péché d’arrogance’’ pour les Etats-Unis, certains auteurs américains parlent de ‘’syndrome d’infériorité’’ pour l’Europe politique comme étant la maladie propre de la CE (cf. Jeremy Rifkin, Le rêve européen). La tendance que l’on a sur notre continent à se dévaloriser est affolante. Il en est de même pour l’Europe spatiale. Cette dernière a bien changé en 20 ans mais les constantes restent les mêmes : s’émanciper vers l’autonomie spatiale et la compétitivité mondiale : ces deux facettes, s’alliant, peuvent nous mener au-delà de l’orbite basse. Le projet Klipper doit être mûri et pensé dans cette perspective, si tel n’est pas le cas, le risque d’une opération ‘’à la Spacelab’’, ou ‘’à l’Hermès’’ risque de se dérouler à nouveau. Il faut savoir identifier avec clairvoyance et COHERENCE nos intérêts et les faire prévaloir avec vigueur.

Nicolas Turcat
Président de la NSS France.


Ressources sur Klipper :

Le lien Wikipedia en anglais sur Klipper : ici

Le point sur Klipper en juin 2005 lors du bourget par le site web Flashespace : ici

Le lien vers le site Astronautix.com : ici

Site web perso d'un passionné de vaisseaux russes (en français) où sont stockées de très nombreuse photos de Klipper ainsi que 2 vidéos persos faites sur le salon (vidéo 1 & 2) : cliquer ici pour le site ! A VOIR ABSOLUMENT

Quelques images sur Klipper :


Plan en coupe de la version ailée de Klipper en 2005. ( Crédits : astronautix.com).

 

Plan en coupe des trois autres versions dérivés de Klipper - En haut : le vaisseau original Soyouz - Au milieu : la version lifting body de 2004 - En bas : la version initiale à la fin des années 1990. (Crédits : astronautix.com)

Les mêmes versions mais vues de l'extérieur - En haut : la version ailée de 2005, au milieu : le lifting body de 2004 et en bas : la pré-version de la fin des années 90. (Crédits : astronautix.com)

Les 3 photos au-dessus : Maquette et intérieur taille réelle de la version ''corps portant'' (lifting body) de RKK Energia dans leurs hangars. Crédits Novosti Kosmonavtiki : ici

Les 3 images de synthèse au-dessus, souvent publiées, exprimant les différentes versions vue plus haut (on note les deux différentes versions du modèle lifting body, l'une avec des panneaux solaires, l'autre sans) . crédits ici

Les 3 photos du dessus proviennent du Salon de Moscou 2005 (MAKS) et montrent la maquette de la version ailée. On note en haut donc cette nouvelle version, au milieu, on peut voir le Klipper sur son lanceur Soyouz 3 et en bas le système d'arrimage générique. Crédits ici

Schéma éclaté du Kliper (publié le 30/11/2004). Crédits ici

 
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