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Depuis
quelques mois un débat est apparu aux Etats-Unis entre les tenants
d’une exploration spatiale progressive guidée par le Science
: Science driven et ceux prônants une autre stratégie où
le développement serait conduit par une Destination : Destination
driven.
La première option se traduit concrétement
par la proposition d’une infrastructure au point de Lagrange de
l’équipe d’Exploration de la NASA (N.E.X.T) et présentée
à Houston au World Congress en Octobre 2002. L’idée
de base « … nous irons où la science nous dicte
d’aller et non pas parce que c’est près ou populaire…
» peut être retrouvée dans le discours de l’Administrateur
de l’agence américaine Sean O’Keefe, le 12 avril
2002 à la « Maxwell School of Citizenship & Public
Affairs » de l’Université de Syracuse. La seconde
est représentée par les plans de W. von Braun : Orbite
basse, Lune, Mars et au delà ou plus récemment par Robert
Zubrin et la proposition : Mars direct. Dans le contexte économique
actuel et pour les concepts que nous soutenons, cette querelle sur le
sexe des anges n’a aucune importance. Le vrai problème
étant de créer une ambiance politique, culturelle, économique
permettant à l’Humanité de prendre définitivement
pied là-haut, d’une manière consciente, dynamique
et ambitieuse afin, tout simplement, de préparer un avenir décent
à tous. Cependant aussi inutile et subtile soit-elle, cette querelle
forcent à quelques réflexions.
L’approche progressive et scientifique a l’énorme
avantage d’être politiquement correcte, elle ne dérange
personne, elle n’engage à rien et ne remet pas en
question le jeu financier actuel : N.E.X.T., n’a pas de date,
pas de financement, « Aurora » est crédité
de 14 millions d’Euro et rendez vous dans 30 ans pour des vols
humains !? Cette approche peut être comparée dans l’histoire
à la conquête des pôles, avec ses belles aventures
d’explorateurs, ses beaux livres, ses bases de recherches où
l’on fait des carottes dans le sol que les scientifiques analysent.
Les pôles sont protégés par des traités et
les mouvements écologistes veillent ! Mais aucune « articfaring
ou antarticfaring civilizations » n’y sont nées,
si ce n’est en Alaska, car justement là « Science
Driven » n’a pas été appliqué. De plus,
au risque de choquer, cette vision uniquement scientifique est élitiste
et anti-humaine. Elitiste, car si il y bien un effet « Sojourner
» ou « Apollo 11 » avec leurs millions de connexions
Internet ou les millions de spectateurs, leur donnant un statut de faits
de société ; en réalité, Science, Technique
et Progrès ne sont plus tendances et il n’y a jamais eu
autant de gens se tournant vers le magique, l’irrationnel ou Mère
Nature. Ces missions en dehors du sensationnel espéré
par la découverte de la vie ailleurs ne concernent profondément,
qu’une minorité scientifique spécialisée.
Qui s’intéresse aux cailloux rapportés de la Lune
? Dans le monde actuel, après le battage médiatique, très
rapidement d’autres faits émotionnels noient la Nouveauté
dans le brouhaha ambiant. Anti-humaine, car si nous sommes arrivés
à ce concept purement scientifique, c’est par une analyse
empirique des faits, et cela nous conduit à ne plus comprendre
pourquoi et comment les communautés humaines vivent. De là
un zapping des problèmes humains et le refuge pour certains
dans l’utopie scientifique ou pour d’autres chez Mère
Nature. Ce mouvement vers l’isolement, allié à
une politique économique qui ignore l’humain, induisent
entre autres à une réduction des potentialités
offertes par l’espace à de simples projets scientifiques
de plus en plus étriqués. (faster cheaper and better,
l’homme devient inutile, encombrant, non adapté au milieu,
coûte cher etc.). Une mission scientifique selon ces critères
ne crée aucun potentiel d’activités important :
l’assemblage du lanceur - généralement classique,
fait pour d’autres missions – la construction de la sonde
aussi sophistiquée soit-elle, le traitement des données,
leurs analyses, leurs publications etc… Tout cela ne peut pas
produire une nouvelle sphère économique. En outre dans
le concept « Science driven » l’Homme n’est
admis qu’à petite dose, qu’il observe de loin, mais
surtout qu’il ne dérange pas ! Imaginons un instant la
levée de boucliers du monde écologiste/nature/environnement
etc… si l’on découvre la moindre bactérie
sur Mars. Cette planète serait de facto transformée en
parc naturel, patrimoine de l’Humanité, toute tentative
d’aller plus loin serait bloquée et pour longtemps. Enfin,
c’est au fil des années que la Science est devenue l’unique
motif des activités menées sur la station spatiale internationale.
Cette dernière, ayant perdu progressivement depuis 1984, toutes
ses fonctions liées à un véritable développement
des activités de l’Homme dans l’espace. Pressée
par les aléas politiques, les contraintes budgétaires,
cette infrastructure, continuellement remise en cause, moquée
par les média, réduite à sa plus simple expression
n’a plus pour rôle que d’être un lieu de villégiature
pour quelques touristes fortunés ou un endroit où l’on
espère obtenir par une science ciblée quelques produits
miracles qui pourraient ramener de gros revenus sur Terre.
« Destination
driven », tout en étant aussi vieille que l’Humanité
: « cette curiosité, cette envie d’aller voir
toujours derrière la colline qui se trouve à l’horizon
» est politiquement beaucoup moins correcte. Si elle est réalisée
avec et pour l’Humain, avec les moyens technologiques les plus
modernes et les plus adaptés à l’époque technique
où se situe le défi, c’est le concept le plus efficace.
Mais trois facteurs sont impératifs : une économie adéquate
capable de favoriser cette entreprise, une culture favorisant l’enthousiasme
pour le défi à relever en commun, et la volonté
de réaliser l’ensemble. « Destination driven »
et ses sous-modes « Military driven » et « Commercial
driven » a sûrement conduit l’Humanité au point
où elle s’est arrêtée avec Apollo XVII. «
Commercial driven » aiguillonna Arianespace pendant 27 ans avant
que logiquement le marché des télécommunications
se stabilise, mais hélas entre-temps, l’habitude d’ouvrir
de nouvelles sphères d’activités avait été
perdue. Cette approche conçut sur un défi audacieux, souvent
utilisée dans l’histoire et qui contient toutes les autres
potentialités : scientifiques, militaires, commerciales et culturelles
se traduit comme nous l’avons vu plus haut par le plan stratégique
de W. von Braun. Robert Zubrin de la Mars Society, conservant l’objectif
de la « Spacefaring civilization », tout en faisant l’impasse
de la station spatiale, de la base lunaire, mais en utilisant les ressources
sur la planéte visée, simplifie, allège, et réduit
ce plan à la conquête de la destination qui lui semble
la plus adéquate : Mars. Mais hélas, cette brillante opération
est faite pour se plier aux contraintes d’un système financier
qui n’a sûrement pas envie d’entreprendre ce genre
de projet. D’autres alternatives sont proposées, celles
de feu G. O’Neill et poursuivies avec son groupe de Princeton,
en Europe, celles de l’association des Explorateurs Lunaires (Lunex)
ou encore autour du Professeur Koelle à Berlin.
Ces quelques réflexions
ont pour but de vous faire réagir sur les implications de certaines
orientations ou décisions. L’objectif étant d’assurer
à tous une vie décente, l’option spatiale pour l’Humanité
en utilisant sa capacité à créer du progrès
est une réponse adéquate à ce but. En mettant en
marche, ce choix, par les défis à relever, sciences, techniques,
économie, culture repartiront en avant, tirant l’ensemble
derrière eux. Alors N.E.X.T. avec une destination, Mars direct,
villes dans l’espace, station spatiale, ports sur la Lune, peu
importe, mais qu’on le fasse et que l’Europe se lance !
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Début décembre
un accord est réalisé lors de la réunion de Tokyo
entre les partenaires de la station spatiale internationale, afin de porter
à 6 le nombre de personnes capables de vivre et de travailler à
bord en 2006.
Rappelons que le nombre
d’astronautes embarqués est établi en fonction de
la capacité à évacuer ces derniers en cas de problèmes
majeurs. En raison du dépassement de budget, (bien que cet excès
ne signifie plus rien devant la manière dont fut conduit le projet
depuis 1984 !), le véhicule de secours (projet X-38) et divers
autres éléments d’infrastructure ont été
supprimés. Le projet fut réduit à une station de
base (Core Station) occupée par un équipage de 3 astronautes,
cela correspond à la capacité d’évacuation
d’un Soyouz. Mais avec ces trois personnes, les tâches scientifiques
prévues ultérieurement seraient difficilement réalisées
; de plus, les partenaires : Canada, Europe, et Japon voient le temps
autorisé à leurs représentants pour travailler à
bord se réduire dramatiquement. Cette station de base sera terminée
au début de 2004. Pour passer de 3 à 6 astronautes trois
solutions existent :
Soit augmenter l’autonomie de la navette afin qu’elle reste
accostée à la station plus longtemps, elle servirait de
véhicule de sauvetage durant cette période.
Ou encore, utiliser un Soyouz supplémentaire, mais la Russie conformément
à son comportement depuis le moment où elle est entrée
dans le programme en 1993, se fait tirer l’oreille, parlant de fermeture
de ses ateliers d’assemblage de Soyouz et de cargos Progress faute
de moyens financiers. La NASA pourrait acheter les véhicules russes,
mais une loi passée au Congrès américain en 2000
« The Iran Proliferation Act » interdit à cette dernière
d’effectuer vers la Russie des paiements à la station spatiale.
Enfin, construire un véhicule adéquat. C’est le projet
« Orbital Space Plane », rejeton de la Space Launch Initiative,
succédané du projet Dyna Soar d’Ariane V/Hermès
; le projet est estimé entre 8 et 13 milliards de dollars et ne
volerait qu’en 2010 !
Hélas derrière cet accord de Tokyo se cachent trois non-dits
: le désintérêt des politiques pour ce projet et en
général pour tout ce qui concerne l’espace habité
; une conduite aberrante du programme induite par un financement exsangue,
et un plan d’urgence afin d’abandonner la station pour des
périodes allant jusqu’à un an au cas où la
pression exercée par le manque de véhicule de sauvetage
serait trop importante.
L’Europe, où les deux premiers non-dits s’appliquent
parfaitement, propose en partenariat avec la Russie (avec tous les aléas
que cela comprend) la construction d’un module supplémentaire
pour la station et sa participation à l’avion spatial orbital
américain (avec tous les risques que nous connaissons déjà
: Spacelab, et les prises de décisions unilatérales tout
au long du projet de la station). Pourtant, rêvons quelques instants
: Imaginons, la position nettement meilleure que l’Europe pourrait
adopter dans ce problème si Hermès avait été
réalisé ! Si les moyens financiers étaient alloués
vers d’autres options plus prometteuses que celles que nous subissons
depuis 20 ans ! Si la vision politique était une qualité
de ses Hommes ! Car le savoir-faire et la majorité des outils (Ariane
V, la station internationale avec Columbus) existent pour aller plus loin.
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La situation actuelle
du CNES me fait réagir, en temps que citoyen et président
de l’association National Space Society France, je me dois de vous
faire part de quelques réflexions. Le but de la National Space
Society est de proposer et de soutenir la possibilité de programmes
spatiaux humains ambitieux dans le monde et dans le cas de la NSS France
: en Europe. L'objectif étant d'arriver dans le futur à
une civilisation ou l'expansion de l'humanité dans l'espace soit
une composante majeure du développement économique et d'un
renouveau culturel. Etant étudiant en Maîtrise d’Histoire
contemporaine à la Sorbonne et citoyen, l'avenir me concerne, et
cette option spatiale pour l'Homme n'est pas à dédaigner.
Le CNES traverse une crise grave, tous s’accordent à le dire
et la pérennité de l’organisme est mise en cause.
Sous l’égide de M. Bonnet, vous allez recevoir bientôt
le rapport de la "Commission de Réflexion" du
12 novembre 2002, que vous avez commandé sur l’état
du Centre, or celui-ci a déjà connu de telles situations
en 1970 ou 1976. Mais aujourd’hui avec l'épuisement prévisible
du marché limité des télécommunications, la
faiblesse de celui de l'observation, la légèreté
avec laquelle il fut déclaré que la microgravité
était sans intérêt, l'incapacité à projeter
une vision cohérente sur le vol habité et l'obstination
à vouloir tout gérer à l'aune d'une doctrine financière
inadaptée à nos sociétés modernes, alors oui,
avec ces hypothèses et contraintes l’utilité du CNES
est remise en question.
Cependant, la NSS
France soutient l’utilité du CNES et particulièrement
l’importance d’une agence spatiale nationale qui a tellement
fait pour la politique spatiale européenne. Je tiens juste à
vous rappeler le rôle moteur de la France et du CNES dans la construction
du programme Ariane depuis 1972. L’Europe entière, bénéficie
désormais pleinement de ce lanceur. Sur le site Internet du CNES
nous pouvons y lire ceci : « Par sa maîtrise des techniques
spatiales, le CNES a su développer les outils permettant à
l'Europe d'accéder de façon autonome à l'espace
». Le CNES est une composante puissante et fondamentale de la politique
spatiale européenne.
Nous considérons
que le transfert de la majorité des compétences du CNES
à l'ESA est inadéquat, alors que le régime politique
qui mènera l'Europe n’est pas défini. Il est en effet
nécessaire de conserver un levier de commande efficace (politiquement
réactif, scientifique et technique) qui permette d'agir, comme
l'affaire Europa Ariane l'a démontrée. Rien n'empêche
de participer aux programmes de l'Agence Spatiale Européenne tout
en conservant au niveau national une structure, qui bien dirigée,
fit ses preuves. En résumé ce qui fait défaut à
l'Europe et à la France est une véritable dynamique porteuse
d'un avenir et d'espoir pour tous. Mais pour cela, ceux qui prétendent
diriger doivent sortir d'une logique financière suicidaire, d'un
alignement sur des tendances ou des modes et d'une politique se résumant
à des consensus alimentés par des sondages. Un programme
spatial habité ambitieux, une amélioration de nos infrastructures
concernant le quotidien, accompagnés d'une véritable politique
de développement envers ceux qui manquent de tout seraient capables
d'ouvrir une ère d'espoir. Et pour cela le CNES est une bonne structure
capable de soutenir l'ESA pour démarrer cette ambition spatiale
et contrairement à ce que beaucoup pense l'argent existe. La résolution
du problème ne passe que par l'utilisation des qualités
humaines : vision, imagination, philosophie, volonté et création.
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