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L'Europe et l'astronautique

Après le vol spatial de quatre jours effectué par deux astronautes américains à. bord de la cabine Gemini GT-4, le grand public se rend maintenant compte à son tour combien il faut d'esprit inventif, de dévouement et de moyens pour assurer le bon déroulement d'une telle mission. Aussi n'est-il pas étonnant que ce succès incontestable des Américains suscite à nouveau des commentaires sur le sens et les possibilités de l'astronautique européenne, d'autant plus que cette question a été examinée il y a deux mois seulement par des représentants de l'industrie européenne, de l'industrie américaine et de la NASA.

En effet, lors d'un voyage aux Etats-Unis organisé par EUROSPACE du 26 avril au 7 mai dernier (1965), un groupe de 130 personnalités de l'industrie aérospatiale européenne a eu l'occasion de se faire une idée des installations et des méthodes de travail des entreprises américaines et de discuter en même temps de questions importantes concernant l'astronautique en Europe. Comme il fallait s'y attendre, cette tournée qui comprenait également la visite de plusieurs centres de recherche et bureaux d'étude de la NASA a fort impressionné les visiteurs et a sans doute fait perdre à quelques-uns certaines illusions à propos des futures activités spatiales des pays européens. Néanmoins, l'échange de vues a certainement été fructueux pour tous les participants, y compris les Américains, et c'est pourquoi il faut féliciter EUROSPACE d'avoir organisé un tel voyage d'étude. Bien que n'ayant pas eu le temps, avant d'entreprendre leur tournée, de se concerter à fond et de se préparer à des discussions serrées, les visiteurs ont pu faire avec leurs collègues américains un tour d'horizon très utile des projets spatiaux actuellement poursuivis en Europe ainsi d'ailleurs que des questions relatives à une éventuelle coopération avec les Etats-Unis.

De toute évidence, les Etats-Unis ne prennent pas trop au sérieux les efforts déployés jusqu'ici par les pays européens dans le domaine spatial et, selon les interlocuteurs américains, l'Europe ne pourra sans doute plus rattraper, dans le cadre de son programme actuel, le retard pris sur les techniques hautement développées qui offrent tous les jours des possibilités surprenantes et qui, dans la pratique, doivent constamment répondre à de nouvelles exigences. Bien entendu, l'industrie américaine est prête, à condition que l'opération soit profitable et techniquement intéressante, à participer à la réalisation, de projets spatiaux européens. Et il est certain qu'une telle participation des firmes d'outre Atlantique permettrait à l'Europe d'atteindre plus rapidement le niveau technologique auquel elle aspire. La question est uniquement de savoir comment on pourrait aboutir à une coopération efficace sans que les projets européens soient influencés par l'industrie américaine.

Avant de parler des problèmes qui découlent de tout cela, passons rapidement en revue une nouvelle fois les principaux programmes européens.

Le programme spatial français qui, compte tenu de son budget, est le plus important en Europe a, en gros, cinq objectifs principaux :

• Mise au point du lanceur de satellites Diamant qui doit être opérationnel dans environ dix mois;
• Réalisation de satellites de recherche dont 1e lancement s'effectuera d'abord au moyen de fusées porteuses américaines, puis au moyen de Diamant;
• Expériences en matière d'aéronomie à l'aide d'une série de fusées-sondes d'ores et déjà disponibles;
• Mise sur pied d'une chaîne de stations de poursuite pouvant être intégrées dans un réseau mondial;
• Construction près de l'équateur d'un centre spatial devant remplacer la base française au Sahara après la fermeture de celle-ci en 1967; ce nouveau centre sera mis à la disposition de tous les pays ou organismes internationaux qui désirent l'utiliser.

Le programme spatial ouest-allemand est quelque peu décousu, ce qui peut s'expliquer principalement par le fait qu'il manque en Allemagne fédérale un organisme central pour diriger les travaux, comme par exemple le CNES en France. C'est le Ministère de la Recherche Scientifique qui est responsable des projets financés par l'Etat, mais les décisions sont prises par un comité interministériel. D'autre part, il existe différents comités de l'industrie et de la technique qui, apparemment, n'ont pas encore trouvé un dénominateur commun pour traiter avec le gouvernement et le parlement. Les travaux en Allemagne fédérale sont principalement consacrés à la recherche fondamentale, mais on a néanmoins déjà lancé quelques programmes prévoyant entre autres la réalisation de satellites de recherche et de fusées-sondes de petites dimensions. Pour le lancement des satellites actuellement à l'étude, il est prévu d'utiliser des fusées porteuses américaines; un accord avec la NASA est en préparation à cet effet. Par ailleurs, les Allemands se proposent de mettre au point à longue échéance un véhicule spatial utilisable pour des missions de transport. Mais il est peu probable que l'on arrive à réaliser en Europe un tel projet qui est plus complexe et plus coûteux que les programmes américains les plus ambitieux. Sans doute sous estime-t-on nettement les moyens financiers et techniques qu'exige la construction d'un véhicule de ce genre.

Le programme britannique dans le cadre duquel plusieurs satellites ont déjà été lancés avec succès n'a pas encore pris une forme définitive, mais une certaine orientation est prise avec les fusées-sondes du type Skylark et du projet Black Arrow. Les travaux du Royal Aircraft Establishment et les recherches effectuées par les différentes fumes constituent, bien entendu, une excellente base pour les programmes futurs. A l'heure actuelle, les efforts se concentrent principalement sur le premier étage Blue Streak du lanceur européen qui est construit par le consortium du CECLES/ ELDO.

Il n'est pas utile de parler ici des programmes spatiaux des autres pays européens comme par exemple le très intéressant programme italien ‘’San Marco’’, puisque les lignes qui précèdent donnent un aperçu suffisamment clair de la situation: les divers projets nationaux réunis ne constituent pas encore un programme assez cohérent susceptible d'être pris au sérieux par les Etats-Unis ou l'Union soviétique. Il est néanmoins réconfortant de voir que plusieurs pays européens coopèrent au sein du CERS/ESRO qui construit actuellement trois centres techniques en Europe et quatre stations de poursuite réparties dans le monde. Les marchés pour lés premiers satellites de recherche ont déjà été attribués, mais ce que peut faire l'ESRO est relativement insignifiant comparé aux efforts systématiques des deux grandes puissances mondiales. Il en est évidemment de même pour l'ELDO qui, avec trois lancements réussis de Blue Streak, a finalement donné un bon départ au programme de mise au point de la nouvelle fusée porteuse européenne.

Le faible taux d'accroissement des crédits affectés ces derniers temps par les pays européens au domaine spatial et le fait que ces crédits n'ont pas dépassé eh 1964 le montant de 200 millions de dollars (même en 1965, les dépenses ne seront sans doute pas supérieures à 800 millions de francs français, c'est-à-dire 160 millions de dollars) montrent bien la différence qui existe entre le budget spatial de l'Europe et celui des Etats-Unis qui, avec près de cinq milliards et demi de dollars, est aujourd'hui environ trente fois plus élevé. Du fait de cette disproportion, il n'est pas étonnant que !es Etats-Unis et l'URSS attachent relativement peu d'importance aux programmes spatiaux européens.

Comment pourrait maintenant, malgré cet état de fait, s'établir une coopération fructueuse entre les Etats-Unis et l'Europe? Selon M. J. Delorme, président d'EUROSPACE, une des conditions préalables est la création d'une sorte de « NASA européenne», c'est-à-dire un organisme central ayant son budget et dirigeant en Europe tous les travaux dans le domaine spatial. Car étant donné leur structure actuelle, l'ELDO et l'ESRO ne seraient probablement pas à même de jouer un tel rôle. Par ailleurs, il faudrait évidemment diminuer l'écart entre les budgets spatiaux de l'Europe et des Etats-Unis pour que le rapport ne soit plus de 1 : 30 mais peut-être de 1 : 5 seulement.

On peut se demander pourquoi le contribuable américain approuve si facilement les dépenses assez importantes qu'effectue son gouvernement pour la réalisation des projets spatiaux, dépenses qui, toutefois, ne représentent que 1 %, environ du produit national brut. Cette complaisance n'est certainement pas due au niveau de vie très élevé des Américains mais avant tout au fait que la majorité de la population tient à ce que son pays sorte vainqueur de la course à l'espace engagée avec l'Union soviétique ; d'autre part, on estime à juste raison que les travaux permettent d'acquérir sur le plan technique une expérience dont pourra bénéficier toute l'industrie américaine. L'Europe n'a, en revanche, ni un gouvernement central pour établir un programme bien coordonné, ni l'audience pour faire admettre la nécessité de rattraper les deux Grands dans la compétition technologique. Pourtant le produit national de l'ensemble des pays européens est à peu près comparable à celui des Etats-Unis.

Comment se présentent maintenant les choses vues du côté américain? Bien que la NASA soit très fière de ce qu'elle a entrepris sur le plan international, on s'aperçoit en regardant de plus près que cela constitue uniquement une faible partie de l'activité spatiale américaine dans son ensemble. Il apparaît en outre que la somme de dix millions de dollars qu'ont rapportée l'an dernier aux firmes américaines l'assistance technique et la vente de matériel spatial à l'étranger est relativement peu importante puisqu'elle ne représente que 1% environ des exportations annuelles de l'industrie aérospatiale américaine. Le fait que la Communications Satellite Corporation, en tant qu’organisme exécutif d'un consortium international de 45 pays membres, ait maintenant attribué a des entreprises européennes les premiers contrats d'étude d'une valeur totale de 1,5 million de dollars ne saurait être considéré comme une véritable opération de grande envergure entre les deux continents. Plus de 20 000 firmes américaines comptant quelque 400 000 employés assument actuellement les fonctions de maître d'oeuvre et de sous-traitant pour différents programmes d'étude et de mise au point de la NASA. Pas moins de 250 000 marchés sont passés annuellement pour utiliser au mieux cet énorme potentiel dans le cadre d'un budget de l'ordre de cinq milliards de dollars. Compte tenu de ces chiffres astronomiques, on comprend aisément que les Etats-Unis hésitent a faire bénéficier les Européens de leur expérience plus ou moins gratuitement.

En parlant, lors de la dernière conférence d'EUROSPACE, de la coopération entre les Etats-Unis et l'Europe dans le domaine aérospatial, Lord Caldecote de la British Aircraft Corporation a déclaré qu'à son avis seules deux formules étaient susceptibles d'intéresser l'industrie américaine: soit la livraison de véhicules et d'équipements spatiaux complets répondant aux exigences des programmes européens, soit l'assistance technique sous forme de conseils ou de licences de fabrication. La première solution représenterait pour les Etats-Unis un double avantage en matière d'exportation, car les Européens se procureraient tout d'abord certains éléments des programmes américains et se verraient peut-être ensuite dans l'obligation d'importer la quasi-totalité des éléments afin d'atteindre leur ob¬jectif. La deuxième solution, sans doute jugée moins intéressante par les firmes américaines, est susceptible de se traduire initialement par des revenus assez modestes, mais pourrait accélérer le développement en Europe grâce à l'assistance technique des Américains et créer ainsi de nouveaux débouchés pour les matériels fabriqués aux Etats-Unis.

Ce qui est sûr, c'est que les entreprises et les autorités européennes sont moins intéressées par les matériels que par les techniques des Américains. On peut évidemment imaginer différents types d'accords de licence mais il n'est pas prouvé que les firmes américaines soient prêtes à fournir n'importe quel renseignement technique à leurs partenaires européens, d'autant plus que la plupart des accords conclus jusqu'ici sont des accords de courte durée à l'expiration desquels le preneur de licence doit solliciter de nouveaux droits.

Certes, les Européens peuvent faire valoir que leur produit national brut correspond à celui des Etats-Unis et que, compte tenu du fait que le budget spatial américain représente environ 1% du produit national alors que ce pourcentage n'atteint même pas 0,05 % en Europe, le marché européen est extrêmement prometteur pour l'industrie spatiale d'outre-atlantique. Mais est-ce que les firmes américaines voudront renoncer à leur position privilégiée pour une simple option sur l'avenir ?

Pour voir dans quelle mesure les autorités et les entreprises américaines sont effectivement prêtes à coopérer, les pays européens devraient élaborer (et naturellement consentir à financer) plusieurs projets concrets partiellement basés sur des fusées porteuses ou autres systèmes importants construits aux Etats-Unis. Il serait alors possible de connaître rapidement les programmes suscitant l'intérêt de la NASA et de se faire une idée de la politique suivie par cet organisme à. l'égard du vieux continent. En même temps, cela indiquerait les domaines dans lesquels il est inutile de compter sur une collaboration des Américains. Par exemple, lors de la conférence d'EUROSPACE à Philadelphie, on a eu une nouvelle fois la preuve que la NASA et l'industrie américaine font la sourde oreille lorsqu'il est question d'astronautique au moyen de véhicules habités de construction européenne. A-t-on peur d'une éventuelle concurrence ou veut-on simplement éviter à l'Europe certains écueils?

Bien entendu, chaque fois qu'un des partenaires d'un groupement d'étude ou de production est conscient de sa supériorité technique, il a tendance à faire payer très cher les droits qui protègent ses produits et ses procédés. Et les différences qui existent entre les législations nationales relatives aux brevets et aux marchés constituent de surcroît un obstacle non négligeable pour une fructueuse coopération. Cela pourrait d'ailleurs devenir un handicap pour le resserrement des liens entre les fabricants européens eux-mêmes surtout si, dans une future association à l'échelle du continent, l'un des partenaires a un niveau technique différent de celui des autres. Le principal danger pour l'Europe est toutefois d'une toute autre nature. En effet, si les Américains lancent sur le marché européen, au bon moment et à des prix avantageux, des produits finis comme par exemple des fusées porteuses, des systèmes de guidage ou des calculateurs micro miniaturisés afin d'étouffer dans l'actif les réalisations européennes similaires, ils peuvent se créer un monopole gênant considérablement le développement des activités aérospatiales en Europe. A ce sujet, Lord Caldecote n'a pas hésité à dire que l'assistance technique des Etats-Unis pourrait très bien devenir le cheval de Troie des pays européens. A notre sens il est prématuré, aujourd'hui, de parler d'un tel danger, car la plupart des Américains doivent savoir que les parlements européens n'approuveront aucun programme spatial important si les intérêts de l'Europe ne sont pas sauvegardés.


L'Europe et les Etats-Unis savent par expérience- que la compétition constitue le meilleur stimulant du progrès technique et de la prospérité économique. Le problème se limite aujourd'hui à la recherche d'un compromis raisonnable entre la compétition et la coopération, mais il n'est évidemment pas facile de trouver une solution acceptable par tous les intéressés. Tant que les gouvernements européens oeuvrant pour l'expansion de leur industrie n'auront pas vraiment réalisé tout ce que peut apporter l'astronautique et tant qu'ils n'auront pas adopté un vaste programme commun placé sous la direction d'un organisme central, il ne sera certainement pas possible d'obtenir le concours des Etats-Unis comme véritable partenaire dans une association encore plus élargie.


K. Regelin, directeur de la rédaction d’Interavia.

 


Dans l’espace - Pourquoi ?

Par M, Seamans, administrateur adjoint de Ia NASA, Washington DC.

Il y a cinq ans à peine, personne ne savait encore avec certitude si des êtres humains pouvaient vivre et procéder à certains travaux dans l'espace. Aujourd'hui la preuve est faite. Vingt-huit personnes, dont dix-sept Américains et onze Russes, sont allées dans l'espace et en sont revenues après avoir parcouru un total d'environ 55 millions de kilomètres.

Depuis lors les principales difficultés techniques pour l'exploration de la lune par l'homme sont également tombées. Le programme Gemini qui est près d'être achevé nous a donné la réponse à bien des problèmes soulevés. Nous avons pu accomplir dans l'espace des manceuvres très précises et réaliser des rendez-vous et des accostages. Des hommes ont pu circuler à l'extérieur de vaisseaux spatiaux au moyen d'un propulseur autonome et accomplir des tâches utiles. Des rentrées contrôlées de vaisseaux spatiaux dans l'atmosphère ont été effectuées. Au cours d'un seul voyage dans l'espace, Frank Borman et James Lovell ont parcouru une distance égale à plus de dix fois un aller et retour Terre-Lune.

Notre maîtrise de la technologie de l'hydrogène liquide, cet ergol à haute énergie qui doit assurer la propulsion des deux étages supérieurs du Saturn 5, a été pleinement démontrée début juillet lorsqu'une fusée Uprated Saturn 1 a placé sur orbite un satellite plein d'hydrogène liquide pour étudier le comportement en état d'apesanteur de celui-ci. Mentionnons en passant qu'il s'agissait du vaisseau spatial américain le plus lourd à cette date, l'étage 4B du Saturn mesurant 28 m de longueur et pesant 26,5 tonnes.

Au cours de la mission qui comportait trois révolutions sur orbite, le Saturn 4B a été réalumé deux fois. C'est une manœuvre qu'il faudra effectuer fors de l'envoi d'hommes sur la Lune. Le Saturn 4B constituera alors le troisième étage de la fusée lunaire Saturn 5 et devra tourner quatre heures et demie environ sur orbite terrestre pendant que les trois astronautes de l’Apollo vérifieront le fonctionnement de leur vaisseau et de ses équipements. C'est après cette vérification que l'étage S-4B sera réallumé pour emmener les astronautes vers la Lune.

Une autre étape importante dans l'exploration spatiale a été atteinte en juin lorsque le Surveyor s'est posé sur notre satellite. En dehors du fait remarquable que les opérations préparatoires à cet «alunissage» se sont déroulée automatiquement à des milliers et des milliers de kilomètres de l'être humain le plus proche, l'intérêt principal de la manceuvre a été la démonstration de la possibilité de cet atterrissage sur la Lune. Le Lunar Excursion Module (LEM) qui déposera deux astronautes de l’Apollo sur le sol lunaire sera de construction similaire au Surveyor.

Tout ceci et toutes les expériences techniques. scientifiques et médicales que nous avons faites ont une très grande importance, non seulement pour l'accomplissement des missions lunaires du programme Apollo, mais pour les autres opérations spatiales de favenir. L'exploration de la Lune par des hommes, quelle que soit sa valeur propre, doit être placée en effet dans un contexte beaucoup plus général. Nos objectifs sont beaucoup plus vastes et ont des incidences plus profondes. Comme le disait le président Johnson dans son rapport au Congrès : ‘’A mesure que se développe notre programme spatial, nous en voyons mieux les effets sur notre vie quotidienne. Ce programme a apporté un stimulant à notre enseignement amélioré nos conditions matérielles d'existence et élargi nos horizons scientifiques. Il constitue aussi un puissant instrument au service de la paix’’.

Le projet Apollo qui doit nous permettre de réaliser une grande quantité de missions spatiales différentes près de la Terre et entre la Terre et. son satellite aussi bien que sur celui-ci n’est qu'un des programmes américains d'exploration de l'espace par l'homme qui doivent assurer aux Etats-Unis la ‘’liberté spatiale’’, c'est-à-dire la possibilité d'accomplir dans l'espace toutes les missions que réclamera l'intérêt national.

Il pourra en résulter également un profit direct sur les plans économique et technique pour les populations du globe en même temps qu'un approfondissement de la connaissance de notre planète, du système solaire et même de l'univers.

Mais l'effet peut-être le plus important pour l'homme de l'exploration de l'espace sera son retentissement sur sa conception philosophique du monde. Souvenons-nous que c'est l'invention du télescope qui a amené Kepler et Galilée à formuler les théories qui, à l'époque, avaient paru incompatibles avec la religion. Ce que va nous apporter l'exploration de l'espace dans les années qui viennent dépasse certainement tout ce que l'on peut imaginer. En mobilisant toutes nos ressources pour prospecter l'univers, nous pouvons aussi trouver de nouvelles méthodes pour la reconstruction des villes, de nouveaux movens de transport à grande vitesse, résoudre des problèmes économiques et sociaux et faire avancer la cause de la paix.

M. Seamans.

 

Pour une politique spatiale européenne

Depuis plus de dix ans. les deux pays les plus puissants de la terre se livrent une lutte technologique sans merci qui a eu jusqu'ici pour principaux théâtres d'opérations leurs laboratoires de recherches et leurs bureaux d'étude. Aussi longtemps que les Etats-Unis et l'Union Soviétique parviendront à maintenir en équilibre le potentiel de dissuasion de leurs armes nucléaires, le risque d'un conflit, avec toutes les conséquences catastrophiques qu'implique l'emploi de l’arme atomique, demeure minime. Mais ceci n'empêche pas les deux pays de continuer à se disputer, sous des formes toujours nouvelles, l'hégémonie terrestre. Le but de chacun d'eux est de remporter une victoire technique sur l'adversaire, d'une part pour ébranler son système économique et d'autre part pour limiter son influence économique et politique dans les autres pays.

Voilà le mobile principal de ces efforts immenses déployés par les Etats-Unis et l'Union Soviétique dans la réalisation de leurs programmes spatiaux (sic). Pour les Russes, il s'agit sans doute encore maintenant. d'une question de prestige essentiellement, alors que du côté américain de gros intérêts économiques se font déjà jour. Il importe peu de chercher à établir lequel des deux a provoqué cette rivalité technique qui engloutit des sommes astronomiques : L'U.R.S.S. dont les dirigeants, au cours de ces dernières années et à la grande. surprise du monde occidental, ont si bien su tirer parti de la technique pour prouver la supériorité de leur idéologie - ou les Etats-Unis qui, ayant su reconnaître le danger mortel que représenterait une défaite technologique, ont décidé de réaliser - leur programme d'exploration lunaire en est la preuve - un programme gigantesque auquel ils accordent la priorité absolue et dont ils s'attendent qu'il révolutionne toute la vie scientifique et économique du pays.

La course continue et il est angoissant de penser qu'à tout moment cette lutte technologique qui se déroule en marge d'une paix fragile peut conduire à la rupture de cet équilibre pour lequel les deux géants ont déjà payé si cher. Or, précisément, pour l'Union Soviétique il s'agit de rompre cet équilibre et, pour les Etats-Unis, il s'agit d'empêcher cette rupture.

Dans cette situation, quelle peut être l'attitude des pays plus petits et économiquement plus faibles? Ils commencent à leur tour à réaliser que la technique spatiale - indépendamment de la course des Américains et des Russes vers la Lune - peut exercer une influence profonde et saine sur de vastes secteurs de l'économie et des sciences; que tout ce qui a trait à la technologie spatiale et à ses développements doit être envisagé selon des méthodes d'organisation et de planification entièrement nouvelles; que la recherche spatiale enfin nécessite des techniques et des moyens de production pratiquement inconnus jusqu'ici mais dont la maîtrise donne une puissance économique extraordinaire. Pour les Grands, désormais, l'importance et la puissance d'un pays se mesurent à ses succès dans le domaine de la recherche spatiale: cette notion nouvelle n'a pas échappé aux petits pays, qui sont bien obligés d'admettre par ailleurs que cette lutte technologique limitera nécessairement et dans un proche avenir le pouvoir compétitif de leur propre industrie de pointe. II n'est guère besoin de rappeler ici que l'économie des Etats-Unis est en conlinuelle expansion depuis le lancement de leur gigantestesque programme spatial et que le revenu brut national ne cesse d'y augmenter chaque année sans qu'il en résulte pour autant une hausse des prix - ou que les exportations de l'Union Soviétique vers les pays occidentaux ont plus que doublé depuis la mise en route du programme spatial soviétique.

Les pays d'Europe occidentale peuvent-ils se contenter d'assister sans réagir à toutes ces modifications profondes, alors que le volume des exportations de leurs produits techniques de 1ère qualité, qui était jadis tellement élevé, diminue de plus en plus ? Dans la plupart des pays d'Europe occidentale, il manque un plan d'investissements à long terme, approuvé par le gouvernement et le parlement et qui permettrait d'établir des programmes d'exportation sur des bases solides. En d'autres termes, ce qu'il faut ce n'est pas un programme de subventions, mais un programme d'investissements et, en même temps, un plan industriel à long terme pour permettre à ces pays de retrouver leur supériorité technique. tout au moins dans certains domaines.

Un tel programme, pour ce qui concerne les pays d'Europe occidentale, pourrait fort bien être entrepris sur la base d'une coopération multinationale; pour éviter que se heurtent dès le début les intérêts des différentes branches de l'industrie en cause, on choisirait pour ce programme un domaine où tous les pays participants sont pour ainsi dire des profanes. C'est là justement que la technologie et la recherche spatiales offrent des possibilités entièrement nouvelles, d'autant plus que certains projets spatiaux commerciaux - comme ceux qui ont trait par exemple à l'utilisation de satellites peur la télévision et les télécommunications - portent déjà en eux la promesse de bénéfices considérables dans un proche avenir.

Comment se présente actuellement la politique spatiale en Europe ?. Pour ce qui concerne le développement de la recherche spatiale et certains domaines de la technologie spatiale, les premiers pas ont sans doute été faits, mais de manière trop désordonnée et le plus souvent sans but précis - à l'exception de la France. Bien qu'il existe à l'heure actuelle des douzaines de comités nationaux ef trois organismes internationaux dont les fonctions se chevauchent en partie, il n'est sûrement pas trop tard pour que les représentants des gouvernements intéressés conviennent de se réunir et de discuter de la création d'une autorité spatiale véritablement européenne pouvant disposer d'un budget à long terme. Il est indispensable - et c'est un point sur lequel il faut insister - que la politique spatiale reste l'affaire des gouvernements car eux seuls peuvent décider de quelle manière les projets spatiaux financés par les contribuables peuvent le mieux profiter à l'économie tout entière. Sans doute pourrait-on par la suite trouver le moyen d'accorder aux milieux industriels et économiques le droit d'exprimer leur opinion. Certains gouvernements ne manqueront évidemment pas de faire observer que des projets de cette envergure et qui doivent être réalisés en collaboration avec d'autres pays n'ont une chance de réussir que si les intérêts commerciaux sont les mêmes pour les industries des différents pays. Mais ce n'est pas en affichant une telle attitude que l’avance que continuent à prendre les Etats-Unis pourra être rattrapée.

L'Europe est aujourd'hui ]e plus grand consommateur mondial. Si l'industrie européenne devait un jour ne plus être en mesure de compenser par ses exportations les sommes qu’elle dépense pour ses importations - et celles-ci iront en augmentant à mesure que s'élève le niveau de vie -- les pays européens deviendraient les débiteurs de ceux qui auraient su réaliser à temps leurs programmes d'expansion économique, grâce à l'esprit d'initiative et de prévoyance de leurs gouvernements. Dans cette optique, l'établissement d'un programme spatial à long terme n'est pas seulement une question de bonne politique dans le domaine scientifique mais également de saine politique dans le domaine économique. II y a en tout cas une réalité dont les gouvernements doivent prendre conscience: tant qu'en Europe les dépenses annuelles pour la recherche spatiale et tout ce qui s'y rapporte ne représenteront qu'un trentième environ du budget amiel de la NASA, les Etats-Unis continueront à augmenter leur avance.

L'exemple de l'Allemagne, à cet égard, est frappant: le budget que la RFA consacre à l'heure actuelle à la recherche spatiale s'élève à 228 millions de DM par an : or cette somme ne représente qu'un tiers environ du chiffre d'affaires annuel des producteurs de vin mousseux en Allemagne, ou encore 3 % seulement des bénéfices nets de la firme américaine General Motors. Les contributions des autres grands pays européens aux programmes spatiaux ne sont guère plus larges. On ne peut donc pas prétendre qu'avec de tels crédits, les pays européens puissent assurer le développement de leurs industries de pointe. Depuis la dernière guerre, le gouvernement américain a consacré plus de 100 milliards de dollars à la recherche, dont les trois quarts à des programmes de recherche militaires et spatiaux. Pour la seule année fiscale 1967, les Etats-Unis ont prévu 8 milliards de dollars environ pour la recherche à des fins militaires.

Quant au chiffre d'affaires de l'industrie aérospatiale américaine, dont les grandes firmes sont devenues au cours de ces dernières années les concentrations industrielles les plus importantes du monde, il a dépassé 20 milliards de dollars. 80% des chercheurs et des ingénieurs qui travaillent pour cette industrie sont affectés exclusivement aux études et à la recherche et il.est facile d'imaginer que les connaissances et les découvertes de cette armée de spécialistes ne manqueront pas de profiter également à d'antres branches de l'industrie.

II est donc essentiel que les gouvernements des pays européens fassent inscrire à leurs budgets, au titre de la recherche scientifique et technologique, des crédits très nettement supérieurs à ceux qui ont été admis jusqu'à présent. Sans doute serait-il beaucoup plus facile de discuter de la réalisation d'un large programme spatial européen si l'intégration politique de l'Europe avait fait quelques progrès durant ces dernières années. Hélas, ce n'est pas le cas et voilà pourquoi des négociations intergouvernementales sont peut-être nécessaires maintenant pour que le niveau des connaissances scientifiques et techniques en Europe redevienne très élevé - par le biais d'une coopération intereuropéenne dans la recherche spatiale et dans le financement de celle-ci.

K. Regelin, Directeur de la rédaction INTERAVIA.

 

Plaidoyer pour l'espace

L'intérêt du public pour l'espace n'a probablement jamais été aussi bas qu'à présent. Nous sommes loin de l'époque où des millions de personnes se levaient la nuit pour assister à la télévision aux premiers pas de l'homme sur la Lune. Dans l'esprit du public, l'aventure spatiale a maintenant fait place à la routine et cela n'éveille plus sa curiosité.

Dans une large mesure, c'est la faute des responsables des programmes spatiaux. L'industrie aérospatiale et les pouvoirs publics sont en dialogue constant depuis plus de 15 ans; la presse technique a donné régulièrement des comptes rendus fidèles des discussions, mais l'information n'a pas été largement disséminée. Il est donc tout naturel que le public ait perdu son enthousiasme initial.

Nous nous trouvons donc maintenant en face du problème suivant : au cours de la prochaine décennie, l'espace commencera à devenir utile pour l'humanité, mais le public et les industries qui jusqu'à présent n'ont pas participé à la grande aventure n'auront pas reçu le message.

Deux programmes spatiaux décrits dans ce numéro représentent ce tournant - Skylab, point culminant du programme de base américain; et la navette (Shuttle), qui annonce une ère nouvelle où l'espace ne sera plus réservé aux «surhommes». La navette a été décrite par le Dr. James Fletcher comme l'avion des frères Wright de l’ ère spatiale et, en un sens, il a raison. II y a tout de même une différence en ce sens que les frères Wright ont eu à convaincre les gens que le vol propulsé était une proposition réaliste. Toutefois, les Wright ont eu le même problème que l'industrie aérospatiale: persuader le public que leurs nouvelles machines volantes ont une utilité pratique.

La navette spatiale n'aura que la valeur des charges utiles et des personnes qu'elle transportera dans l'espace. Comme l'a dit M. Robert Anderson, président de Rockwell International, au Goddard Memorial Symposium de l'année dernière: «Si Harrison Schmitt, un géologue, après un court séjour sur la Lune, pouvait retourner avec des connaissances susceptibles d'intéresser ses pairs pendant des années, que pourrions-nous logiquement attendre d'une équipe entraînée de prospecteurs de pétrole qui, pendant une semaine ou deux, aurait exploré la Terre entière à l'aide des appareils les plus perfectionnés connus à ce jour?». L'objectif est maintenant de développer les charges utiles et de convaincre l'industrie non-aérospatiale de leur viabilité.

La chance de l'Europe

La navette elle-même est américaine, mais il n'y a aucune raison pour que les charges utiles le soient également. Pour l'Europe, la navette offre la chance d'obtenir enfin sa place dans l'espace, après des années d'efforts frustrants et sans grands résultats concrets. A cet égard, la décision qui doit être prise prochainement au sujet du développement du Spacelab est d'importance primordiale. II est essentiel pour l'avenir de l'Europe que le programme Spacelab soit mené à bien. Sinon, l'Europe devra s'en remettre presque entièrement aux Etats-Unis, ou peut-être même à l'Union soviétique, pour la technologie d'avant-garde des années 1980. La réussite ou l'échec des programmes nationaux européens ne changera guère cette perspective. Ce qui a été réalisé dans le passé. par les petits satellites de construction européenne mis en orbite par des lanceurs américains, français et britanniques sombrera dans l'insignifiance lorsque la navette sera disponible avec ses 30.000 kg de charge utile.

Les Européens qui croient que l'Europe doit poursuivre le développement de ses propres lanceurs tant qu'elle n'a pas la garantie absolue que les Etats-Unis fourniront des lanceurs pour tous les satellites de construction européenne, n'ont probablement pas tout à fait tort. Toutefois, l'auteur de ces lignes estime qu'il vaudrait mieux consacrer les ressources disponibles au Spacelab et peut-être même au Space Tug, plutôt qu'à réinventer la roue.

Michael P. Brown.

 

 

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