Réaction
à l'article des miettes pour la recherche française
dans Le Figaro - 24/01/04
Dans
une lettre fort bien tournée : « Des miettes pour la
recherche française » parue le quotidien Le Figaro du
23 janvier 2004, monsieur Claude Allègre, ancien ministre de l’éducation
nationale, nous confirme quelques vérités : le système
de recherche français possède d’excellentes capacités,
mais il est sous-financé. Cependant des propos exprimés
dans ce texte nous conduisent à quelques réflexions :
Aujourd’hui les chercheurs sont mécontents de leur sort et
monsieur Allègre nous remémore les actions positives de
son époque. En même temps, nous constatons qu’une autre
institution de l’Etat : l’armée, discrète par
nature est beaucoup mieux lotie budgétairement. Parions qu’à
la prochaine alternance, une ancienne ministre des armées s’indignera
dans ces mêmes colonnes du maigre soutien financier dont sera immanquablement
doté son ex-ministère alors que la recherche percevra une
amélioration ! Aux Etats-Unis, bien que les budgets alloués
à la science soient dans d’autres proportions (et aucune
loi n’interdit à l’ensemble des pays composant l’Union
européenne d’avoir les mêmes moyens) nous assistons
à un phénomène identique : avec l’actuelle
administration, l’armée jouit de possibilités plus
importantes, alors que d’autres secteurs se trouvent dans des situations
difficiles. Par contre, dans la recherche privée, depuis les mesures
prises sous l’ère du président Reagan et dans certaines
disciplines très prometteuses, comme le vivant, les nanotechnologies,
l’électronique, les moyens sont à la hauteur des espoirs.
Effectivement cet état de fait peut attirer des étudiants
européens en quête d’un avenir. Ces domaines privilègiés
génèrent des profits financiers énormes restant dans
les milieux dont ils sont issus, ils n’irriguent aucunement d’autres
disciplines ou les recherches fondamentales moins en vogue. En nous resituant
au niveau de l’Etat, en Europe ou aux Etats-Unis, il est possible
d’affirmer que les théories économiques néo-libérales
qui règnent depuis 25 ans n’autorisent qu’une gestion
financière dans un système clos. Cette dernière se
fait en fonction d’émotions, d’intrigues de groupes
de pressions, de croyances aveugles dans des dogmes économiques
mal assimilés ou d’empirisme. Cette « marchandisation
» de toutes les activités, dans un système fermé
se fait toujours au dépend de « l’autre ».
Les chercheurs devraient s’inquiéter de la lettre de soutien
à leur contestation de monsieur Allègre. En effet, dans
le dogme économique évoqué précédemment,
très souvent, ceux chargés de traiter de l’avenir
d’un secteur ou d’entreprises diagnostiquent des : «
organisations parasoviètiques, bureaucratiques et sans flexibilité
d’orientation thématique ». Hélas, ces
spécialistes sans imagination, incapables d’un projet politique
humain et dynamique, qui « connaissent mieux que quiconque les
lacunes… », dans leur froide logique, invoquent toujours
les mêmes remèdes préconisés par le dogme dont
ils sont entichés : le dégraissage, la privatisation, le
marché etc… En résumé : une « reaganomique
» où la recherche se fait au profit de grands groupes pour
produire de l’innovation qui rapporte.
Daniel Cohen, lors d’un débat récent dans l’hebdomadaire
Le Nouvel Observateur, disait : « … L’Europe a longtemps
été un continent prométhéen, ‘shumpétérien’
: son modèle de développemnt était fondé sur
l’innovation et c’est cette innovation qui lui donnait son
avance sur les autres. Aujourd’hui, je crains que sa croissance
soit davantage ‘smithienne’ : comme Adam Smith, elle croit
un peu trop à la logique des baisses de coûts, aux vertus
d’un ‘empire’ (qui pourrait être l’Union
élargie) où elle pourra fabriquer ailleurs, moins cher,
en explotant les différences de coûts entre ses différentes
‘région’. … » Et le problème
est bien là ! Dans l’alliance entre l’entrepreneur
génial et le banquier éclairé, l’imagination,
la vision, l’ambition, le volontarisme ont été éliminés
au profit d’un pur jeu financier. En éludant ce processus
humain, l’affairiste de l’innovation, sélectionne et
ne construit plus qu’une phase marchande, il doit tirer le maximum
de possibilités d’une idée pour en sortir le maximum
de profits. Si cette approche « innovante » de triage,
d’optimisation des profits par le marché est utile en économie,
elle ne peut en aucun cas se substituer à une politique de recherche
cohérente, seule garante d’avancées à long
terme. De nombreuses personnes pensent que les fusées Ariane, les
Airbus ou les futurs satellites de navigation sont des preuves de la vigueur
industrielle, technique voir scientifique de la France ou de l’Europe.
Cependant, au risque de choquer et cela ne veut pas dire qu’il ne
fallait pas les réaliser, nous affirmons que ce ne sont que des
applications optimisées afin de venir prendre des parts de marché
estimées « juteuses ». En amont des ces trois
applications correspondent trois programmes portés par l’Etat
: les missiles de la Force de Frappe, Concorde, les premiers satellites
français qui, s’ils restent moins brillants au niveau d’analyses
économiques à la mode, n’en sont pas moins des défis
pour l’époque exigeant de nombreuses recherches pour acquérir
une maîtrise dans les domaines concernés. A titre d’exemple,
ce fut d’une part le savoir aéronautique acquis avec la lignée
des avions militaires, la Caravelle, le Concorde, et d’autre part
les progrès réalisés en informatique par diverses
entreprises entre 1970 et 1985 qui permirent l’innovation en productivité,
qu’est devenu l’Airbus A320.
L’assurance dont fait preuve monsieur Allègre le conduit
aux limites du pédantisme envers madame Haigneré et au paradoxe.
Il refuse d’accabler l’actuelle ministre déléguée
à la recherche mais « … Elle ne connaît pas
la vie des laboratoires, leurs difficultés quotidiennes. Astronautes,
elle a pris l’habitude de l’argent facile. Songez que chaque
vol habité coûte à la France 30 millions d’euros,
c’est-à-dire le prix d’un Institut de recherche ! Alors,
lorsqu’elle jongle avec les pourcentages de PNB, cela constitue
pour elle des chiffres abstraits, sans chair, sans sueur et aujourd’hui
sans larmes. … ». Des mots blessants ! Nous ne défendrons
pas ici la ministre déléguée à la recherche,
elle a accepté de participer, d’une autre manière,
à un système philo-économique prédateur, et
ce n’est pas son ministère qui a le vent en poupe, elle n’est
réduit qu’à organiser la misère et distribuer
des « mots forts ». Mais lorsque monsieur Allègre,
à propos de cette « sécheresse » de crédits
évoque le général de Gaulle et Michel Debré,
devant « …se retourner dans leur tombe. » il
y a de quoi être effaré !? Ces deux grands hommes politiques
ne faisaient pas de la science une affaire d’élite, ils ne
jouaient pas avec un système politico-économique dont les
leit-motiv sont marché, bourse, dégraissage agrémenté
d’environnement et d’Europe, Non ils dirigeaient un Etat-Nation,
ils pilotaient une économie, et les grands programmes comme le
nucléaire, la force de frappe, les réseaux de transport,
l’infrastructure, l’aéronautique, servirent entre autres
d’incitateurs à la recherche et généraient
de véritables innovations. Bien sûr selon les cultures, des
variantes existaient dans le rapport privé public. Les administrations
américaines de Roosevelt à Kennedy utilisèrent des
politiques similaires pour stimuler leur recherche, évidemment
le climat de guerre de cette époque imposait des résultats
impératifs. Un des drames du sytème européen actuel
résulte des conséquences du dogme économique adopté
: le marché et les profits, sans aucune modération dictent
tous les comportements, et le processus est boulimique. Il impose de renoncer
à toute indépendance, à toute ambition, à
toute imagination, seule la « ficelle » qui permet d’engranger
des parts de marché dans le champ clos où s’affrontent
les adversaires désignés demeure la norme. Cet asservissement,
accompagné d’une méfiance entretenue envers la science
et le progrès annihilent toutes possibilités de concevoir
un avenir optimiste.
Dans le cadre de ces réflexions, nous insitons sur le fait que
les audacieux et vastes programmes engagés par l’Etat ou
la Commission européenne, soutenus politiquement, culturellement
et financièrement et favorisant la participation et leur réalisation
par le secteur privé, sont les seuls outils capables d’accroître
la sphère économique et donc de créer la richesse
future. Ces desseins doivent être choisis de façon à
induire la mise en mouvement frontale d’un maximum de sciences et
de technologies, les défis devront être jetés loin
en avant de manière à forcer les avancées et faire
franchir des seuils successifs aux sciences et technologies. Ces entreprises
ambitieuses auront besoin de recherches fondamentales et appliquées,
elles permettront progressivement de sortir du cycle infernal de la gestion
de ressources limitées dans un monde clos. Trois directions concernant
l’Humain avec toute sa complexité semblent prometteuses :
le développement des pays en détresse, l’évolution
de nos infrastructures et enfin, la création d’une civilisation
étendant ses activités humaines au système solaire.
Le premier objectif est une question humaine, le second de préservation
de notre cadre de vie sur la planète, ils demandent raisonnablement
de la Science et du Progrès ; le troisième en exige massivement.
Ce développement des activités humaines dans l’espace,
au delà d’être l’incitateur le plus efficace
et le plus complet pour la recherche dans son ensemble et à l’innovation,
est impératif au plan économique, écologique et culturel.
Ce triptyque est harmonique et indissociable. Dans cette dynamique, Science,
Culture, Education, Technologie, Business, Innovations trouvent leurs
places dans une sphère économique en croissance.
A.
T.
Le
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